Abitibi-Bowater est née, attachez vos tuques, une nouvelle forêt de chômeurs et de faillites en vue !...
Abitibi-Consolidated et Bowater viennent de fusionner. Résultat : 7 milliards de dollars de dettes que les deux plus grandes assistées sociales du monde se préparent à refiler au régions « ressources ». Plus de 80% de la forêt de résineux du Saguenay–Lac-Saint-Jean et autant des feuillus viennent ainsi donc de passer en une seule main qui est loin d'être propre !
Je vous rappelle qu'aux lendemains de la fusion Abitibi-Price et Stone-Consolidated, en 1997, c'est l'usine de Chandler et toute la Gaspésie qui ont écopé. Des milliers d'emplois ont été la rançon qu'ont dû payer les Québécois —ou plutôt les régionaux— aux coquins de la haute finance mondialiste, et cela, sous l'oeil complice de l'État québécois qui n'a strictement rien fait pour nous. Que pensez-vous qui va arriver, maintenant, aux usines du Saguenay–Lac-Saint-Jean qui viennent de passer d'un vase communicant à un autre, plus grand, plus nauséeux, plus visqueux ?
Qui en paiera le prix : la papeterie de Dolbeau ? d'Alma ? Jonquière ? La pulperie de Saint-Félicien ? Si vous pensiez que l'effondrement de l'industrie forestière était terminé au Québec, attendez de voir les cinq prochaines années. Attachez vos tuques, vous n'avez pas fini de vous désoler.
Incroyable ! Ces multinationales ont désormais tout le jeu de cartes en main : elles ont les chutes d'eau, les centrales, la forêt, les usines. Le Québec est mûr pour un coup de sang social ! À quand la colère ? Lorsque nous serons tous morts de faim !
Vous voulez que je vous dise ! Si j'étais premier ministre du Québec, je donnerais un grand coup de poing sur la table et je récupérerais tous les droits sur la forêt québécoise, les cours d'eau et les centrales. Je n'en raterais aucune. Cela fait, j'établirais un plan de restructuration de ce cadavre économique en fonction des besoins des Québécois qui en vivent et de ce qui nous reste ; pas en fonction de l'industrie qui se prépare à prendre ce qui reste.
Cette débilité qui a commencé en 1810, dans le plus fort des guerres napoléoniennes doit prendre fin. Les citoyens des régions ressources doivent absolument cesser de croire aux mensonges des multinationales, de Chevrette et de ces gouvernements qui, l'un après l'autre, naviguent dans ce dossier crucial, les yeux fermés, démâté et sans gouvernail. Il faut que ça cesse cette rapine néolibérale et mondialiste !
Dans mon livre publié en 2004 sur l'industrie forestière, en concluant sur la fusion Abitibi-Price de 1974, j'écrivais :
« Voilà donc les faits, à ce tournant de nos annales ! Les faits soumis au lecteur, pour lui permettre d’évaluer la qualité des acteurs qui ont pris part à ce jeu d’initiés et pour tenter de mesurer la souffrance des populations entières qui en ont été les dupes et les victimes. Voilà les faits tels que ravis à l’écheveau de l’oubli et au prisme temporel. Les faits simples, purs, durs et crus. Les faits reportés avec le souci souverain de comprendre, de rendre justice à la vérité historique, témoigner, instruire et corriger si possible. Habitués de négocier avec une entreprise de type familial (la Compagnie Price), les Saguenéens et les Jeannois devront désormais s’habituer à composer avec une multinationale sans racines, insensible à leurs douleurs, motivée uniquement par la quête de profits —qui leur échappent— et dirigée par des gérants corporatifs beaucoup moins soucieux des besoins régionaux et peu enclins à respecter les acquis sociaux récupérés de peine et de misère, au cours d’une histoire qui aura duré 136 ans —de 1838 à 1974— entre la population saguenéenne et la Maison Price.
Posons-nous simplement la question : Trente ans après le fait, en ce début de millénaire, que reste-t-il, pour nous et pour notre suite, des usines de Jonquière, Kénogami, Alma, Port-Alfred ? Que reste-t-il de ces lambeaux d’usines et de cette forêt saignée à blanc, laissées à l’abandon par des spéculateurs boursiers, des pilleurs de peuple, des détrousseurs de grand chemin ? Où en est la population régionale dans sa quête du bonheur ? Trois questions qui doivent interpeler les consciences. Toutes les consciences ! Pour ma part, le vrai résultat, celui faisant depuis lors que le Saguenay–Lac-Saint-Jean soit contraint de produire plus de dividendes à des profiteurs étrangers avec plus de bois et plus de sueur pétris dans les liqueurs des usines surannées, m’indique que ces gains se sont faits sur le dos de sa population et que la recherche du bonheur qui est le propre de toute société en quête d’une destinée, société si primitive soit-elle, n’a pas compté le moins du monde dans l’esprit de ceux qui se sont échangé nos moyens de production et nos ressources naturelles pour satisfaire, celui-ci son ego, celui-là son avarice, cet autre pour compenser son vide dans la satisfaction d’un fantasme.
On ne peut observer l’histoire qui nous soumet sans la soumettre à son tour à un regard propre. C’est le propre des esprits libres. N’ayons pas peur des mots : la haute finance, c’est le vice des hommes qui s’accouple dans le vide de l’État. Appelé à se pencher sur les conséquences perverses de la fusion Abitibi-Price et sur l’épidémie de fermetures qui va frapper après coup les usines de pâtes et papiers du Québec, le ministère des Terres et Forêts conclura trois ans plus tard —dans les termes d’une commission parlementaire formée en 1977— que la prise de contrôle du groupe Abitibi a contribué à « affaiblir la concurrence dans cette industrie » et qu’elle a réussi, par voie de conséquence, à limiter considérablement les investissements dans ce secteur d’activités. Mais il ne suffit pas à l’État de constater le méfait ; encore lui aurait-il fallu corriger. Et corriger pour la peine ! Car loin de s’arrêter, notre déchéance se poursuit.
Les faits sont des témoins tenaces qui relèvent de l’absolu. Dans les années qui vont suivre la formation du holding Abitibi-Price, les anciennes usines Price et l’industrie forestière sagamienne seront soumises aux seules lois du libéralisme économique et du marché international, et devront faire les frais de la vénalité des hommes. Ces usines, qui vivent sur du temps emprunté, deviendront alors, nous allons y revenir forcément dans notre troisième et dernière partie qui s’ouvre sur l’année 1975, les grands otages d’une véritable révolution socio-économique ponctuée de nouvelles prises de contrôles, d’arrivées de nouveaux compétiteurs, de ventes et de fermetures qui vont résulter à des milliers de mises à pied qui rejoindront, ad vitam æternam, la masse de plus en plus imposante de désœuvrés, d’assistés sociaux et de laissés-pour-compte d’une société déréglée, déboussolée et dépouillée de tous ses biens au nom de principes qui ne sont pas les siens et de rouages qui lui échappent en totalité.
Cela fait maintenant 32 ans ! Et nous n'avons encore rien appris de la leçon. Sommes-nous carrément idiots, ou plus simplement morts ?
Russel Bouchard
Auteur, « Annales de l'Industrie forestière au Saguenay—Lac-Saint–Jean (1945-2000) », Chicoutimi, 2004, 520 pages.