Le journal
« Le Quotidien » d'aujourd'hui, publie en page cinq, pour la seconde fois en moins d'une semaine, la photo d'Alleluya Gusenga, toute en pleure, parce que le méchant ministère des Affaires Étrangères du Canada ne peut lui procurer les papiers requis pour qu'elle puisse se rendre en pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle et visiter les pays placés sur l'itinéraire. Pour ceux qui n'ont pas eu vent de l'affaire, disons simplement que Mlle Gusenga est cette jeune Rwandaise de 17 ans qui, après avoir survécu comme par miracle au massacre de ses frères et soeurs, a par la suite été tirée des griffes d'un réseau de trafiquants d'êtres humains sévissant en Afrique de l'Est. Amenée chez nous par les efforts de sa bonne tante, la jolie survivante étudie présentement à l'École Dominique-Racine de Chicoutimi et apprend à vivre au rythme de sa terre d'accueil.
Voilà qui est bien. Qu'on se mette ensemble pour aider des gens dans le besoin, j'en suis ; qu'on s'applique à sauver d'une mort certaine des innocents sur lesquels pèsent la lourde menace d'un génocide, j'en suis davantage et je suis même disposé à mettre mon nom au bas de la liste des parrains. Qu'on offre l'asile, le gîte, le chèque d'aide social, la carte d'assurance maladie, le droit d'étudier et le permis de travail à une jeune fille qui ne demande qu'à s'intégrer dans son pays d'adoption, peut-on, franchement, être contre la vertu ? Évidemment non !
Mais là où je n'embarque plus, c'est quand un député fédéral (Robert Bouchard, pour ne pas le nommer), pour gagner des votes, entreprend d'investir son précieux temps afin d'arracher un visa de sortie pour une immigrante alors que 99,9% des jeunes filles et des jeunes garçons de Chicoutimi n'ont ni le moyen ni le goût de se payer un tel trip alors qu'ils sont eux-mêmes menacés d'exil à Montréal ou ailleurs ; c'est quand le journal prend sur lui de placer la photo de cette jeune fille en pleur dans ses premières pages —deux fois plutôt qu'une— alors que la région a bien d'autres chats à fouetter qu'un pèlerinage si sanctifiant soit-il ; c'est quand on s'acharne à nous imposer les images et les considérants d'une telle futilité, comme si cette affaire était une nécessité incontournable de la vie.
Vous voulez que je vous dise encore ! Bien que cela puisse paraître dur à lire pour les coeurs sensibles qui s'attendrissent devant les malheurs d'Alleluya qui n'en finit plus d'éponger ses larmes dans les journaux du Saguenay, je suis d'avis que Mlle, après les horreurs qu'elle a vécus dans son pays d'origine, devrait remercier le ciel d'être enfin tirée d'ennui car elle a déjà gagné le gros lot. À 17 ans, elle a encore toute la vie devant elle. Un refus n'a rien d'une tragédie, même que ça fait partie de l'apprentissage de la vie. Quand elle aura été reçue citoyenne canadienne, si ce n'est déjà fait, quand elle aura son diplôme universitaire en main, qu'elle aura son travail et son entreprise si ça se trouve, Mlle Alleluya pourra bien se payer le voyage qu'elle voudra puisqu'elle l'aura mérité. Mais d'ici là, de grâce, n'en mettez plus, la cour est pleine.
Si Mlle a réellement besoin de se ressourcer sous l'aura de notre sainte mère l'Église, ce qui n'est pas sans bienfait il est vrai, je lui suggère, d'ici à ce que les choses se tassent pour elle, une retraite fermée à l'Hermitage du Lac-Bouchette, en attendant évidemment de participer à la neuvaine de la Bonne-Sainte-Anne, à la mi-juillet, où elle pourra du reste se familiariser avec les miraculés qui s'appliquent à survivre au naufrage de la désintégration de cette région...
Akakia