La gare patrimonial de Chicoutimi, avant sa... « rénovation ». Photo, Russel Bouchard, 1987. La gare patrimoniale de Chicoutimi, après sa... « rénovation ». Photo, collection Murdock.
Dans la suite de la chronique publiée le 7 mai dans ce blogue sous le titre
« Le patrimoine bâti de Chicoutimi sous le pic des démolisseurs – Rien de trop neuf pour une classe possédante inculturée... » Mme Nathalie Murdoch, une femme d'affaires inscrite dans la lignée de la célèbre et réputée famille de développeurs saguenéens (la famille de feu John Murdock, l'un des multi-millionnaires les plus en vu et les plus respectés dans le Québec des années 1950) a tenu à répliquer à ma lettre ouverte publiée hier, 10 mai, dans le journal régional, « Le Quotidien ». Depuis l'annonce de la démolition très prochaine de la maison Lévesque, un bijou du patrimoine bâti de Chicoutimi (rue Racine), la population n'en finit plus de déplorer cette douloureuse perte consentie par le conseil municipal au profit du projet de construction d'un édifice de 21 étage (rien à voir avec la célèbre Société des 21, qui avait ouvert le Saguenay à l'entreprise coloniale, en 1842 !).
Cela dit, la réplique de Nathalie Murdock, publiée en totalité dans Le Quotidien de ce matin,
confond malencontreusement « conservation » et « sauvetage » ; « restauration » et « rénovation » ; « édifice » et « site » ; « histoire » et « dollar$ ». Déviant sur le fond du problème qui est la conservation du patrimoine bâti et l'inculture déplorable des développeurs du Saguenay, il m'importe donc de reproduire ici l'intégralité de cet échange afin que les lecteurs puissent disposer de tout le suivi pertinent pour se faire une idée saine de l'érosion catastrophique du patrimoine historique qui sévit dans le Royaume...
Ils n'en mouraient pas tous, mais tous en étaient atteint (LaFontaine, « Les animaux malades de la peste» ).
Akakia
LETTRE OUVERTE DE NATHALIE MURDOCKNathalie Murdock
À Russel Bouchard
Chicoutimi, le 10 mai 2007
Bon matin à vous,
Je termine la lecture de votre papier paru dans le Quotidien de ce matin et voilà que les souvenirs me hantent!
L'importance patrimonial est un sujet qui me tient à coeur. Le projet de la vieille gare encore plus, puisque j'y ai mis mon coeur et mon argent. Payée 375,000$ à la ville en plus d'un investissement de 2,500,000 $ nous avons tenté, ma soeur et moi d'en faire un bâtiment (avec ce qui en restait) dont nous sommes fières. De plus, en aucun temps, je n'ai utilisé le mot « sauvetage » pour parler du projet de la gare, car je n'en ai pas la prétention.
Je suis bien surprise de lire « un bricolage d'un mini centre commercial indigne », voilà qui change le ton de ce que vous écriviez, il y a quelques années de cela dans La petite histoire de la gare de Chicoutimi écrit par Eric Tremblay et vous même et qui allait comme suit: « Seule la gare est préservée et sauvée in extremis par les promoteurs privés. Avec un projet conservant les caractéristiques patrimoniales, la famille Murdock a le mérite d'avoir conservé ce trésor de notre patrimoine collective» Était-ce par conviction ou pour l'argent que vous aviez à ce moment salué, comme vous le soulignez à mainte reprise dans votre ouvrage ce « joyau patrimonial de la ville de Chicoutimi »?
Nathalie Murdock,
ancienne propriétaire
Place de la GareRÉPLIQUE DE RUSSEL-A BOUCHARDÀ Nathalie Murdock
(Chicoutimi)
Chicoutimi, le 10 mai 2007
Bonjour Madame,
Je n'aime pas du tout votre manière de langage ! Avec tout ce que cela implique et exige, soulignons au gros crayon rouge que je suis coauteur avec Éric Tremblay, et non pas auteur. Ce que nous avons convenu d'écrire et de signer voilà déjà sept ans (c'était en 2000) dans le livret que la Maison Murdock a publié en deuxième édition, est conforme à ce que nous en avons communément pensé à ce moment, car tout pouvait alors arriver. Comme ce sera le cas ces jours-ci avec la maison Lévesque, qui fera place à une structure haute de 21 étages, un accroc environnemental dénaturant qui va réduire à néant l'âme historique de cette partie de la rue Racine.
Il faut donc démêler deux choses dans ce genre d'exercice dont vous et votre soeur ont fait de leur mieux, je n'en doute pas : soit, d'une part, la « restauration » architecturale, et, d'autre part, le « sauvetage » in extremis d'un site patrimonial lourd de sens (j'ai bien dit site). Pour un, une restauration architecturale digne de ce nom aurait exigée que vous gardiez intact toute la structure du bâtiment ainsi que son esprit, entendons une modeste gare qui se voulait également le terminus ferroviaire régional. Cela aurait également exigé que ce site historique soit préservé de tout apport nouveau et que les ajouts d'architecture n'outrepassent pas, en volume, le corps originel de l'édifice. Ce que vous n'avez manifestement pas respecté ne vous en déplaise. Et, pour deux, un sauvetage signifie que le minimum a été fait pour préserver quelques éléments de la bâtisse qui nous rappellent cette histoire. Ce que vous avez du reste fort bien fait en préservant la façade et ce dont il vous faut remercier comme il sied dans cette sorte de circonstance puisque cela a permis plus particulièrement de sauver le site (entendons le coeur du Chicoutimi historique) d'une destruction totale suivie d''une construction de plusieurs étages qui aurait brisé l'aspect visuel de l'ensemble du périmètre urbain dominé par la cathédrale, le presbytère, les vieux couvents et le bureau de télégraphe.
Il y a donc, si vous me permettez, une différence notable entre « l'ensemble des éléments » et... « quelques éléments ». Dans le premier cas, on parle d'un maximum (ce qui est souhaitable), et dans le second d'un minimum (ce qui est mieux que rien). Et quand je dis « rien », je donne comme exemple la démolition du théâtre Capitol et celle de la Bonne Ménagère qui ont été remplacés par des parkings et de l'asphalte. Corrigez-moi si je me trompe, n'est-ce pas justement un rameau de la famille Murdock qui était alors propriétaire de ces deux derniers sites ? Ayant toujours en mémoire vos traditions familiales en matière de patrimoine bâti, je ne crois pas qu'on puisse me reprocher, ni chez vous ni ailleurs, d'avoir applaudi devant ce minimum qui vous était alors un maximum !
Cela étant, je vous dirai enfin que, pour l'argent qui est un langage auquel il nous faut bien s'accommoder par les temps qui courent, je ne crois pas que vous avez de leçon à me donner. J'ai été payé minimalement, ce qui m'était du reste tout à fait convenable, et j'ai honoré proprement la part de la responsabilité qui fut mienne. Mais pour la morale philanthrope et la vertu qui transpirent dans votre ton, permettez-moi chère Madame de me sentir offusqué (avec des « e » féminins si vous le désirez).
Avec l'expression de mes meilleurs et de mes plus vifs sentiment, permettez que je sois encore
Russel-A. Bouchard
Coauteur de la « Petite histoire de l'édifice de la gare de Chicoutimi »
Et auteur(e) de bien d'autres choses encore.