Le passé a-t-il encore un avenir au Pays du Québec ?! Voilà ce qui arrive quand un peuple dort sans rêver...
Cette réflexion est la troisième partie de trois d'un texte rédigé en février 1999 et publié dans ma série des « Pamphlets ». Il se voulait alors une réaction au symposium consacré à « L'avenir de notre passé » tenu à Montréal, les 29-30-32 janvier 1999, sous l'égide de l'Institut d'études canadiennes de l'Université McGill. Lors de ce fabuleux congrès où s'étaient réunis les quelque 800 plus grosses pointures en la matière au Canada, il avait été alors décidé qu'il « n'était pas possible d'enseigner une histoire commune unifiée . » Et ces gens s'étaient entendus pour conclure une fois pour toute, «que tout est matière à interprétation», «que les hommes n’ont pas la même perception de l’histoire que les femmes» et que... la Terre est ronde. Ne manquaient plus que Copernic et Galilée!
Dans ce conclave, il s’en était même trouvé plus d’un pour plaider en faveur de grilles d’analyses codées (sic), se proclamer de l’orthodoxie anti-historiciste et pro-sociologiste (sic) —pour être bien certain qu’aucun manant de citoyen ne pourrait plus jamais comprendre le message de lui-même!... Il s’en était même trouvé un dans l’auguste assistance (j'vous dis pas lequel ?!) pour plaider en faveur de l’incorporation (sic) de la profession dont il se réclamait (et, si ça se trouve, pour proposer l’instauration du supplice de la roue pour châtier les esprits libertaires et les emmerdeurs!).
Il est sidérant de voir à quel point nous avons la mémoire courte, à quel point nous avons tendance à répéter les mêmes erreurs quand nous nous appliquons à ne point en avoir (de mémoire !). En janvier 1999, pour ne pas que vous puissiez vous méprendre, c'était le PQ qui était au pouvoir ; il était alors dirigé par Lucien Bouchard ; son Frère, Gérard, l'inventeur de la « nation civique », celui-là même qui a inspiré le rapport des derniers jours, faisait la pluie et le beau temps en lançant ses credos avec l'appui des institutions en place. Voyez plutôt... R.B.
[...] Je ne suis pas le premier à le dire et à le soutenir : «L’histoire nous hante», mais «c’est autre chose que de l’habiter». Qui, à l’instar de l’historien Pierre Nora (Le Devoir, 1998), oserait contester une telle lapalissade ? Effectivement, cette merveilleuse histoire du Québec parfumée à la gomme d’épinette synthétique et badigeonnée d’eau d’érable 100% pure nous ne la vivons plus librement. Nous n’en sommes plus la composante automatique, ni les héritiers perpétuels, car l’habiter cette histoire, voudrait dire à tout le moins «l’agir», l’influencer. Et cela, au nom de la modernité, il n’en est plus question! Notre histoire, hélas! nous la regardons maintenant de l’extérieur, comme des dépossédés, comme les anciens propriétaires d’une maison que nous n’habitons plus. Et c’est cet abandon qui la rend fétide!
Nous n’en sommes plus acteurs, ni même porteurs d’eau ; nous en sommes les pions qu’on manipule aussi bien dans la vie que dans les concepts. Nous ne sommes plus les vaincus de la Conquête, ni les fils des suppliciés de 1839, nous ne sommes pas les victimes asservies des multipuissants et des multifabricants de la pauvreté ; nous ne sommes, désormais, qu’une main-d’oeuvre à asservir, qu’un marché de consommateurs qui doit comprendre, de gré ou de force, que toute tentative d’émancipation est peine perdue et vouée d’avance à l’échec. Les chaînes à perpétuité donc, puisque le cardinal démographe (!), les grands prêtres de la sociologie universitaire, les vassaux obligés du fichier-réseau des populations (Balsac) et les penseurs institutionnalisés qui bouffent à l’auge des régimes et du système l’ont écrit dans leurs savantes grilles d’analyse, entre deux verres de champagne bien frappé... et que les condottieres de l’histoire, en quête incessante de subventions et en bons répétiteurs dociles et serviles des tenants du pouvoir, la relatent sans déroger à la règle. N’est-ce pas qu’il est beau le troupeau cloné avec sa courtepointe en peau de mouton lisérée d’interdits rouge sang ? Je vous le demande, à vous qui rêvez de liberté transcendante : la perception de l’histoire qu’on veut nous imposer dans ce pays, tant par l’écrit que par le récit, n’est-elle pas le premier anneau de la longue chaîne qui asservit et assassine les peuples de la terre ?
Et on ne m’en voudra certainement pas de vouloir rappeler à tous mes érudits confrères et collègues que l’histoire ne rend, ni sceptique, ni trop pointilleux (ni sourd, ni boutonneux d’ailleurs), mais qu’elle est un des grands piliers de la spiritualité individuelle et planétaire, une merveilleuse forme de questionnement existentiel, une école de prudence et de réflexion. “Aux outrances de la raison, écrivait un jour l’historien Louis Halphen, elle oppose la panacée qui guérira la société de ses maux, elle rappelle qu’avant de prescrire un traitement il convient d’examiner attentivement le malade et de s’informer de ses antécédents”. Mais pour cela, il faut être affranchi de la pensée institutionnelle, libre de la nasse corporatiste, dissemblable mais solidaire bref, souverain de corps et d’esprit. Car un pays ne peut prétendre à la souveraineté politique si, à l’intérieur, on corrompt délibérément les esprits et on réquisitionne l’histoire pour y arriver, si on emprisonne les penseurs et les poètes...
Russel Bouchard
Février 1999
Dans ce conclave, il s’en était même trouvé plus d’un pour plaider en faveur de grilles d’analyses codées (sic), se proclamer de l’orthodoxie anti-historiciste et pro-sociologiste (sic) —pour être bien certain qu’aucun manant de citoyen ne pourrait plus jamais comprendre le message de lui-même!... Il s’en était même trouvé un dans l’auguste assistance (j'vous dis pas lequel ?!) pour plaider en faveur de l’incorporation (sic) de la profession dont il se réclamait (et, si ça se trouve, pour proposer l’instauration du supplice de la roue pour châtier les esprits libertaires et les emmerdeurs!).
Il est sidérant de voir à quel point nous avons la mémoire courte, à quel point nous avons tendance à répéter les mêmes erreurs quand nous nous appliquons à ne point en avoir (de mémoire !). En janvier 1999, pour ne pas que vous puissiez vous méprendre, c'était le PQ qui était au pouvoir ; il était alors dirigé par Lucien Bouchard ; son Frère, Gérard, l'inventeur de la « nation civique », celui-là même qui a inspiré le rapport des derniers jours, faisait la pluie et le beau temps en lançant ses credos avec l'appui des institutions en place. Voyez plutôt... R.B.
[...] Je ne suis pas le premier à le dire et à le soutenir : «L’histoire nous hante», mais «c’est autre chose que de l’habiter». Qui, à l’instar de l’historien Pierre Nora (Le Devoir, 1998), oserait contester une telle lapalissade ? Effectivement, cette merveilleuse histoire du Québec parfumée à la gomme d’épinette synthétique et badigeonnée d’eau d’érable 100% pure nous ne la vivons plus librement. Nous n’en sommes plus la composante automatique, ni les héritiers perpétuels, car l’habiter cette histoire, voudrait dire à tout le moins «l’agir», l’influencer. Et cela, au nom de la modernité, il n’en est plus question! Notre histoire, hélas! nous la regardons maintenant de l’extérieur, comme des dépossédés, comme les anciens propriétaires d’une maison que nous n’habitons plus. Et c’est cet abandon qui la rend fétide!
Nous n’en sommes plus acteurs, ni même porteurs d’eau ; nous en sommes les pions qu’on manipule aussi bien dans la vie que dans les concepts. Nous ne sommes plus les vaincus de la Conquête, ni les fils des suppliciés de 1839, nous ne sommes pas les victimes asservies des multipuissants et des multifabricants de la pauvreté ; nous ne sommes, désormais, qu’une main-d’oeuvre à asservir, qu’un marché de consommateurs qui doit comprendre, de gré ou de force, que toute tentative d’émancipation est peine perdue et vouée d’avance à l’échec. Les chaînes à perpétuité donc, puisque le cardinal démographe (!), les grands prêtres de la sociologie universitaire, les vassaux obligés du fichier-réseau des populations (Balsac) et les penseurs institutionnalisés qui bouffent à l’auge des régimes et du système l’ont écrit dans leurs savantes grilles d’analyse, entre deux verres de champagne bien frappé... et que les condottieres de l’histoire, en quête incessante de subventions et en bons répétiteurs dociles et serviles des tenants du pouvoir, la relatent sans déroger à la règle. N’est-ce pas qu’il est beau le troupeau cloné avec sa courtepointe en peau de mouton lisérée d’interdits rouge sang ? Je vous le demande, à vous qui rêvez de liberté transcendante : la perception de l’histoire qu’on veut nous imposer dans ce pays, tant par l’écrit que par le récit, n’est-elle pas le premier anneau de la longue chaîne qui asservit et assassine les peuples de la terre ?
Et on ne m’en voudra certainement pas de vouloir rappeler à tous mes érudits confrères et collègues que l’histoire ne rend, ni sceptique, ni trop pointilleux (ni sourd, ni boutonneux d’ailleurs), mais qu’elle est un des grands piliers de la spiritualité individuelle et planétaire, une merveilleuse forme de questionnement existentiel, une école de prudence et de réflexion. “Aux outrances de la raison, écrivait un jour l’historien Louis Halphen, elle oppose la panacée qui guérira la société de ses maux, elle rappelle qu’avant de prescrire un traitement il convient d’examiner attentivement le malade et de s’informer de ses antécédents”. Mais pour cela, il faut être affranchi de la pensée institutionnelle, libre de la nasse corporatiste, dissemblable mais solidaire bref, souverain de corps et d’esprit. Car un pays ne peut prétendre à la souveraineté politique si, à l’intérieur, on corrompt délibérément les esprits et on réquisitionne l’histoire pour y arriver, si on emprisonne les penseurs et les poètes...
Russel Bouchard
Février 1999