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Généalogie de Aurélien Gill, ancien chef de la réserve indienne de Pointe-Bleue, aujourd'hui Mashteuiatsh. Peu importe la famille fondatrice de cette réserve « indienne » (sic) que vous isolerez pour prendre connaissance de sa généalogie, elles ont toutes le même profile métisse. |
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« Naissance d'une nouvelle humanité au coeur du Québec » EXTRAIT
Dans une entrevue accordée au journal dominical Progrès Dimanche le 21 août 2005, Aurélien Gill, sénateur canadien de son état, sema tout un émoi auprès des Métis du Saguenay–Lac-Saint-Jean en disant douter de leur existence et en questionnant leur propre manière de se définir. Visiblement réticent à la requête des Métis de la Boréalie québécoise d’accéder à la table de négociations en vue de l’adoption d’un traité entre les Ilnutsh et les deux paliers de gouvernement supérieurs, M. Gill s’était mis le soulier gauche dans la bouche en rétorquant au journaliste qu’il faudrait d’abord
« bien définir qui est Métis et qui ne l’est pas » avant de rejoindre les représentants de cette nation dans le processus de négociations. À une seconde question venue de l’assemblée métisse en référant aux conclusions du Jugement Powley qui, depuis 2003, reconnaît les Métis comme un peuple autochtone à part entière en vertu de l’article 35 de la Constitution canadienne, M. Gill n’avait pu s’empêcher de dire qu’il avait « un problème avec ça » et qu’il était
« contre la formule actuelle qui définit les critères de reconnaissance » sous prétexte
« qu’il n’y a pas vraiment de règles établies de la part de ces groupes, ni des règles d’appartenance bien définies. »
« Qui est Métis et qui ne l’est pas ? » La question ainsi posée ne se lasse pas de heurter ceux et celles qui ont entrepris de se redécouvrir une authenticité identitaire en puisant dans leurs propres mythes et en tentant de restaurer leur histoire qui a été dénaturée par les avancées du colonialisme anglo-canadien. Ainsi posée, cette question pour le moins surprenante de la part d’un Sénateur autochtone en amène donc obligatoirement une seconde qui porte en elle une bonne partie de la réponse : « Qui est Indien et qui ne l’est pas ? »
Puisqu’il en a toujours fait grand cas, tout le monde le sait, M. Aurélien Gill est un Montagnais de la Pointe-Bleue (Mashteuiatsh) où il est né le 26 août 1933. Détenteur d’un baccalauréat en pédagogie de l’Université Laval, M. Gill a participé à une multitude de programmes parrainés par le gouvernement fédéral et il a suivi des cours au collège de la Défense nationale à Kingston. Le 14 août 1956, il a épousé Aline Gastonguay, une bonne Canadienne française de la paroisse Sainte-Hedwidge, Lac-Saint-Jean. Cela fait, il a enseigné et puis il s’est engagé à défendre l’autonomie des nations autochtones du Canada, du Québec et de sa communauté, et il a uni sa destinée au ministère des Affaires indiennes en 1963. Après avoir été élu grand chef des Montagnais de la réserve de Pointe-Bleue de 1974 à 1985, M. Gill a oeuvré au sein de la Société de communication Attikamekw-Montagnaise et s’est vraiment consacré à la défense et à la reconnaissance des droits de la nation montagnaise, devenue officiellement la nation Ilnuth en 1994, après la disparion du Conseil Attikamekw-Montagnais. En récompense d’une vie bien remplie passée à faire le lien et le bien entre Mashteuiatsh et Ottawa, en 1998 M. Aurélien Gill a été nommé, par le parti Libéral de Jean Chrétien, membre du Sénat canadien.
Comme Canadien et comme membre des Premières nations du Canada, M. Gill a donc un parcours de vie très bien rempli, parfaitement bien réussi et tout ce qu’il y a de plus honorable en ce pays. Il est fier d’être Montagnais et il ne s’est jamais privé pour le crier haut et fort à chaque fois qu’il a pris la parole sur une tribune.
Côté généalogique, M. Aurélien Gill est le fils de Paul-Émile et de Blanche Boivin, mariés à Saint-Félicien le 30 juin 1926. Du côté maternel, ses origines sont canadiennes-françaises d’abord, mais également écossaisses et un peu montagnaise. De ce côté, il a effectivement l’honneur de descendre de François Lavaltrie par son grand-père maternel (clan E), et de Hugh Blackburn par sa grand-mère maternelle (clan L). Par son grand-père paternel, M. Gill descend de François-de-Sales Obonsawin, et par sa grand-mère paternelle de Cyriac Buckell, un Canadien français d’origine allemande qui s’est installé au Lac-Kénogami vers 1828 et qui a fait famille avec Christine Masselimagan dite Dianais, une Métisse qui descend de Louis Gariépy (clan R). À la troisième génération, ses ancêtres sont les couples Amable Obonsawin et Marie Ouellet, mariés le 26 juillet 1869 à Bagotville ; Charles Buckell et Josèphe Gonthier, mariés le 16 juillet 1883 à Hochelaga ; Euzèbe Perron et Séraphine Tremblay, mariés le 13 avril 1856 à Sainte-Anne-de-Chicoutimi ; Isaïe Claveau et Delphine Laberge, mariés le 24 novembre 1862 à la Grande-Baie.
Si l’on prend comme critère de base le point de vue strictement généalogique, en connaissance de cause nous serions donc amenés à conclure, comme Aurélien Gill le soustend dans sa sortie, qu’il est d’abord Canadien français, un peu Écossais et Allemand, pas beaucoup Montagnais et encore moins Abénaquis puisqu’il faut remonter au moins à la sixième génération pour lui découvrir une ancêtre abénaquise, la femme de Joseph Gill dont on ne connaît du reste ni son nom ni sa qualité d’Indienne. Si nous procédions de la sorte, M. Gill et tous ceux de sa communauté auraient raison de crier au scandale, comme ils ont pris l’habitude de le faire depuis le rapatriement constitutionnel de 1982 qui proclame qu’un autochtone est « notamment un Indien, un Métis et un Inuit ». Comme Rémy Kurtnes, qui répondait comme chef de la réserve de Mashteuiatsh, à la sortie du livre Le dernier des Montagnais, je suis personnellement d’avis que « si le métissage [ethnique] devenait un critère pour juger de l’existence d’un peuple, on ne reconnaîtrait pas beaucoup de peuples dans le monde ».
Cela dit et cela étant, si l’on ajoute au critère généalogique le fait que M. Gill soit né sur une réserve, qu’il est fier de l’éducation qu’il a reçue, qu’il s’affirme de ce peuple et qu’il soit ainsi statué selon les règles consacrées dans la Loi C-31 passée par le gouvernement Mulroney en 1985, nul en ce pays ne peut alors contester cette réalité quand il s’affirme et se définit Montagnais en droits et en titres. En fait, ce qu’il faut surtout reconnaître et apprécier quand on fait le tour de cette question, c’est que la nature de M. Gill, ses racines, sa culture, son histoire, ses mythes et l’idée qu’il nourrit de lui en font un Indien dans le sens le plus noble du terme. Tous les autres, qu’ils soient Canadiens, Américains ou Anglo-saxons, n’ont qu’à opiné du chapeau et saluer l’Indien puisqu’il est cet Indien. Car, être descendant en droite ligne et membre d’une communauté fondatrice aussi riche et aussi exceptionnelle que celle des Indiens d’Amérique et se faire reconnaître comme tel par ceux qui n’en font pas partie, c’est l’un des plus beaux héritages et le plus vibrant témoignage de respect qu’un citoyen de la Terre puisse recevoir de son vivant.
Dans ce contexte, cela nous autorise donc à dire que si cela vaut pour définir un Indien, cela vaut également, dans le principe, pour définir un Métis ; exception faite évidemment du critère de la Loi C-31 qui est explicitement une loi faite sur mesure pour déterminer qui est Indien et, surtout —pour le gouvernement canadien—, qui ne l’est pas. Quand M. Gill dit qu’il faudrait définir qui est Métis et qui ne l’est pas, il ferme les yeux sur ce qu’il est lui-même et il s’enlève toute capacité de répondre à ceux qui disent de lui qu’il n’est ni Métis et encore moins Indien. Il a élevé la barre de l’indianité à un niveau que personne de sa communauté de Mashteuiatsh ne pourrait atteindre s’il devait faire l’exercice qu’on exige aux Métis pour se mériter reconnaissance et respect pour ce qu’il est. Quand M. Gill dit qu’il a « un problème avec ça », il heurte la Constitution qui lui vaut son statut et ses réussites, il exprime une idée méprisante de ce qu’est un Métis dans l’univers canadien et il oublie que c’est de lui aussi dont il est question dans cette quête. Enfin, quand M. Gill se dit en désaccord avec « la formule actuelle qui définit les critères de reconnaissance » d’un Métis, il oublie les règles constitutionnelles qui lui valent son statut d’Indien et son poste de Sénateur canadien, une place privilégiée qui lui a pourtant été accordée pour promouvoir l’autochtonie canadienne sous toutes ses formes.
Si nous savons comment se fabrique, au Canada, un Indien version officielle, et que nous acceptons ces « critères de reconnaissance » de l’Indianité auxquels a fait référence le Sénateur Aurélien Gill dans sa sortie contre les Métis, nous avons donc une forte chance d’avoir trouvé la manière de fabriquer un Métis. Par voie de conséquence, si nous savons comment le gouvernement anglo-canadien a réussi à déconstruire le Métis du Québec, on devrait savoir comment il se peut reconstruire, lui qui n’a jamais cessé d’être ce qu’il est dans son esprit, dans son sang, dans son coeur, dans l’expression de sa culture, dans sa mémoire et dans son imaginaire. Être Métis n’est pas être à demi-Indien, à demi-Autochtone ! Être Métis, c’est être totalement soi dans un tout, c’est être l’égal de l’autre, un citoyen authentique des trois Amériques. Comme l’Indien, le Métis a une idée de lui, une idée cohérente, comparable, exclusive, émotive et déterminée, une idée qui devient le point de ralliement d'une communauté humaine, petite ou grande. En tout temps, cette perception de soi ne devrait toujours être redevable qu’envers soi et ceux qui partagent cette intimité.
Les documents officiels de l’État canadien nous permettent de suivre parfaitement bien comment l’État colonial s’y est pris pour construire l’Indien nouveau, l’Indien qui lui doit tout et qui le supporte jusque dans ses plus hautes institutions (entendons le Sénat et le Parlement), et comment il s’y est pris pour déconstruire le Métis, l’« homme libre », celui qui a servi de lien entre les deux bouts du spectre national et qui a participé à la construction de l’identité canadienne. Tout puissant conquérant qu’il soit, il lui a suffi de procéder par les lois, d’éteindre son nom dans tous les dossiers officiels, d’en faire un étranger qu’on tolère à peine sur sa propre terre, de lui enseigner le mépris de lui-même, et d’assassiner son principal porte-flambeau, Louis Riel, sur le gibet de l’intolérance anglo-saxonne, pour que la peur, le gouffre de l’oublie, le discours négationiste soutenu par toutes ses institutions et par l’histoire nationale, ainsi induite sous sa gouverne, fassent le reste.
Mais de quoi peuvent bien avoir peur ceux et celles qui n’en sont pas et qui refusent d’accueillir ce fait comme l’expression d’une réalité historique et sociale ? Dans le principe, la loi d’un pays, si suprême soit-elle, n’a rien à redire sur la prise en charge identitaire d’un individu et d’une communauté. En tout temps, cette loi doit être là pour protéger ceux et celles dont l’intégrité identaire est attaquée de quelque manière que ce soit ; non pas pour permettre au plus fort de dominer et d’écraser par sa simple force !
Un dernier point qui mérite d’être souligné au crayon rouge avant de fermer le couvert de ce grand livre d’histoire. Les cas de Pointe-Bleue et des Escoumins en sont la preuve manifeste, sans les Métis l’État colonial n’aurait pu ni entreprendre ni réussir son programme des réserves. Ils y sont arrivés les premiers, ils y ont construit les bases d’une communauté sédentaire tout à fait inédite et authentique, ils y ont fait familles et ils y ont préparé le terrain pour que les derniers Indiens nomades viennent s’y réfugier. Sans les Métis, il n’y aurait pas de réserves indiennes au Québec ; il n’y aurait plus d’Indiens ! Comme ce fut le cas à l’époque des fourrures, ils ont été l’ultime trait d’union entre la société blanche et la société indienne, un point de passage obligé des échanges culturels et de la mixité des peuples. Les Métis de la Boréalie québécoise sont à la base de cette nouvelle humanité autochtone qui s’est développée, au fil des siècles, entre les lacs Mistassini et Melville. Ils ont une idée d’eux-mêmes. Ils forment un peuple authentique, un peuple en marche, un peuple qui s’accroche à son histoire et à ses racines, un peuple qui croît en sa destinée…
Russel-Aurore Bouchard