lundi, octobre 09, 2006

Le Saguenay–Lac-Saint-Jean, une région à monopoles : Le monopole de l'électricité s'ajoute au monopole du bois (1896-1963)

Tel que promis, voici la deuxième partie (de cinq) de la conférence présentée devant les membres de l'Ordre des Évaluateurs Agréés du Québec. Pour une présentastion plus détaillée, voir l'avant-propos de la chronique du 7 septembre. R.B.

2- Le monopole de l'électricité s'ajoute au monopole du bois (1896-1963)

Tableau préléminaire
Les vrais maîtres du Saguenay : Alcan, Price, Hydro-Québec. Dubuc et les Canadiens français n'ont été qu'une parenthèse dans cette histoire ; cette histoire a commencé en 1896 et s'est terminée en 1927, lors de la démolition de la pulperie de Péribonka, dernière à avoir passé aux mains des Price.

La vente des forces hydrauliques du Saguenay et du lac Saint-Jean, selon les chiffres officiels (1) :
19 déc. 1895, Chute des Îles, rivière Chicoutimi, à Dubuc, pour 50$ ;
19 mai 1897, Chute des Îlots, rivière Chicoutimi, à Compagnie Électrique de Chicoutimi, pour 1,090$ ;

21 déc. 1899, Chute à Caron et r. Shipshaw, à T.H. Wilson, pour 3,000$ ;
22 juin 1900, Chute à Caron au canton Taché, à B.A. Scott, pour 6,000$ ;
22 juin 1900, Grande Décharge à Chute à Caron, à L.T. Haggin, pour 9 000$
Total, 18,000$, pour environ 2 500 MW (2)

13 mars 1900, rivière Métabetchouane, 3,000$ ;
27 mars 1900, rivière Péribonka, 150$ ;
20 juillet 1900, rivière Métabetchouane, 50$ ;
7 décembre 1900, rivière au Sable, 650$, et 50$
2 mars 1901, rivière Chicoutimi, 1,500$
23 mars 1901, rivière Péribonka, 400$ ; etc...


TOUT ÇA ! Dans le plus grand mépris des Métis et de l'ensemble de la population régionale qui sont, eux aussi, des propriétaires naturels de ce patrimoine industriel et environnemental !...

Quand on considère que la centrale de Shipshaw no IV permettra à l'Hydro-Québec et à l'État québécois d'en tirer d'énormes profits d'année en année et ad vitam aeternam, et que cette récupération d'un autre moyen de production du Saguenay–Lac-Saint-Jean n'aura, pour ainsi dire, aucune répercussion sur le facteur de l'emploi et des avantages tarifaires consentis à la petite et moyenne entreprise régionale ; quand on considère ces piètres retombées (3) ; et quand on considère tout ce qu'il nous en coûtera en perte de qualité de vie et de dégradation environnementale, cela n'a rien d'une « réussite » et d'une « contribution remarquable » comme l'ont soutenu certains chroniqueurs de la droite néolibérale (4) et on est en droit de comprendre que le gouvernement du Québec ment quand il clame qu'il est l'auteur d'une politique de décentralisation visant à favoriser l'économie des régions ressources en difficulté.

Et ce brigandage de cette ressource naturelle majeure, par l'Alcan, Abitibi-Consolidated et l'État québécois par le biais l'Hydro-Québec, ne date pas d'aujourd'hui. Loin de là ! Lorsque le gouvernement du Québec a nationalisé l'hydro-électricité, les forces hydrauliques du Saguenay—Lac-Saint-Jean étaient divisées comme suit : l'Alcan détenait 2 350 MW de capacité installée (94%) ; Price, 156 MW (5%), et les municipalités comme La Baie, Jonquière et Petit-Saguenay, moins de 100 MW (1%). L'État a permis à l'Alcan et à Price (qui est devenu ACI) de conserver leurs pleins pouvoirs sans aucune garanti d'emplois, et a donné le reste (1%), c'est-à-dire ce qui appartenait à la popu­lation régionale, à l'Hydro-Québec, qui est dès lors devenu le troisième monopole à s'approprier les ressources du Saguenay–Lac-Saint-Jean.

Aujourd'hui, en 2006, avec l'ajout de la centrale de la rivière Mistassibi (propriété de l'Hydro-Québec et des Ilnutsh de Mashteuiatsh), les améliorations des centrales de l'Alcan et le potentiel ajouté de Péribonka IV, la capacité hydroélectrique du Saguenay–Lac-Saint-Jean atteint exactement 3 549,55 MW (5). Et le Saguenay–Lac-Saint-Jean, qui ne détient que 1,5% de ce pouvoir installé, n'en retire encore et toujours que les miettes, les désagréments auxquels s'ajoutent la menace de mort pesant lourdement sur nos têtes et les coûts à payer pour l'entretien des infrastructures régionales. C'est du reste dans ce contexte de spoliation de tous les leviers de développement de notre ville et de notre région que cette semaine, l'Alcan, a encore une fois tourné le dos à notre communauté dans le projet du quai Powell qu'elle devait donner à notre Ville et à notre région pour promouvoir notre économie en favorisant l'industrie touristique ; c'est dans ce contexte que l'Alcan, après avoir tout reçu, y compris la santé sinon la vie de nos pères qui ont travaillé pour enrichir le club de ses actionnaires ; c'est dans ce contexte de détournement perpétuel de nos ressources naturelles dis-je bien que l'Alcan exige maintenant qu'on lui paie... 5 M$ pour un quai dont elle n'a plus besoin, après avoir réussi a obtenir un dégrèvement de taxes de 1,2 M$ étalés sur les cinq prochaines années pour son usine de brasques !

Si la richesse consentie à quelques privilégiés de notre Monde est une création de la société et de l'humanité, comprenons que la pauvreté et la souffrance humaine sur lesquelles elle se construit immanquablement, en sont également le fruit pourri...

Russel Bouchard

La suite, très prochainement...

Notes :
(1) Québec, Tableau des forces hydrauliques concédés par la province de Québec du 1er juillet 1867 au 31 décembre 1913, Québec, Ministère des Terres et Forêtes, 1915.
(2) 1902, Scott et Haggin vendent leur portion des forces hydrauliques du Saguenay à OYAMEL COMP. ; 1912, Duke achète les parts de Oyamel Comp. Et s'associe à Scott ; 1913, Duke fonde la Québec Development ; 1914 ; Québec permet la construction d'un barrage à l'Île-Maligne ; 1920, création de l'association Duke-Price ; 1922, début de la construction de la centrale d'Île-Maligne ; 1926, Chute à Caron et Arvida ; 1932, faillite Price.
(3) 345 M$ de contrats de retombées lors des travaux, 56 M$ pour la MRC Maria-Chapdelaine, étalés sur 50 ans, environ 300 000 $ à Saint-Honoré pour le poste de relais construit dans ses limites et 30 000 $ à Saguenay pour la ligne de transport. Cf., Michel Fortin, Bureau du maire, Ville de Saguenay. Marie-Claude Parent, « Compensation d'Hydro-Québec. La MRC répartit le pactole », Le Quotidien, 13 octobre 2004, p. 10.
(4) Jacques Brassard, « Péribonka IV : une réussite boudée par les médias », Le Quotidien, 24 août 2005, p. 9.
(5) En 2006, l'affaire se lit à peu près comme suit : Alcan compte désormais sur une capacité installée de 2 923,65 MW (82,4%) ; Abitibi-Consolidated, 175,03 MW (4,9%) ; Hydro-Québec, avec Shipshaw IV, 385 MW (10,9%); les Ilnutsh, 12 MW (0,3%) ; et le reste, 63,87 MW (1,5%) à des intérêts locaux et régionaux, pour une somme de 3 549,55 MW.

1 Comments:

Anonymous Anonyme
dit :

Après avoir pillé à mort la ressource, bénéficié pendant des décennies de conditions idéales pour s’enrichir au moindre coût, les grandes compagnies forestières mettent le paquet pour obtenir leur part du gâteau - les mesures d’aide gouvernementales – et effectuer une dernière ponction dans les fonds publics avant l’inévitable hécatombe finale. La série de fermeture orchestrée par le Conseil de l’industrie forestière et son lobbéiste de service et le battage médiatique qui l’accompagne constituent en effet le dernier chapître de cette stratégie des grandes forestières qui comptent faire plier le gouvernement en leur faveur avant le sommet de février 2007 qui risque de mettre en évidence leur incurie systématique et leur incompétence, où les avis d’expert comme Luc Bouthillier de l’Université Laval par exemple peuvent faire pencher l’opinion publique et par conséquent celle des politiciens en leur défaveur. C’est du moins la lecture que j’en fais suite aux récents événements et à la panique qui semblent s’installer dans l’esprit de certains politiciens locaux qui nourrissent, c’est bien connu, de grandes ambitions. Il est temps de repenser la manière de faire de la foresterie dans ce pays. Le malheur c'est que les grandes forestières du Québec ne sont pas là pour la foresterie mais pour "les affaires"!

9:24 a.m.  

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