lundi, juin 29, 2015

Le projet de loi 62 sur la pseudo neutralité de l’État, une autre tache d’encre dans le parcours identitaire des Québécois


Si l’histoire du Québec doit retenir quelque chose du lancinant chapitre des accommodements raisonnables, de la laïcité et de la neutralité de l’État, ce sera sans aucun doute dans le projet de loi 62 lancé à la sauvette par le gouvernement Couillard juste avant l’ajournement des travaux de l’Assemblée nationale, le 12 juin dernier. Pas drôle d’être Québécois de souche par les temps qui courent ! Pour un politicien qui entend fuir la réalité qui nous étreint, ce projet de loi mal foutu qui copine avec la lâcheté est la porte dérobée toute indiquée. Bonjour le courage dans la limpidité !

Comme on passe encore par-dessus l’essentiel, on s’évite de rappeler comment la dernière défaite référendaire a marqué, au sein de l’intelligentsia québécoise, un point de rupture capital dans notre histoire. Plutôt que de regarder la réalité en face et de faire ce qui doit être fait pour dénouer l’impasse identitaire qui nous empêche d’avancer, on préfère encore et toujours détourner le regard et pointer du doigt la fameuse phrase lancée par M. Parizeau dans les minutes qui ont suivi l’annonce des résultats du référendum, le soir du 30 octobre 1995 (« On a perdu, pourquoi ? à cause de l’argent et du vote ethnique ! »). Pour les oreilles sensibles, c’était dit crûment et plein de dépit, mais c’était poutant la stricte réalité ! Et c’est ici que la dérive du débat national récupéré par défaut par les maîtres penseurs patentés du Québec post-référendaire prend sa source.

Dans le champ de vision des fossoyeurs de la « la nation québécoise au futur et au passé » enrôlés pour nous servir de guide (VLB, 1999), le moment était on ne peut plus indiqué pour planter les derniers clous de cercueil de l’identité canadienne-française, pourtant les initiateurs historiques du projet national et jusqu’alors le noyau dur de la famille nationaliste. Pourquoi se tirer dans un seul pied quand on peut le faire dans les deux avec une  seule et même balle ?

Dans l’esprit du sociologue Gérard Bouchard mandaté par après pour co-présider la commission de consultation sur les pratiques d’accommodements raisonnables ; dans cette suite du malaise surgi de l’affaire Hérouxville, un seul et même credo s’imposait. Il fallait, comme il nous y invitait dans un texte publié dans Le Devoir du 24 mars 1999 (« Jeter les souches au feu de la Saint-Jean », titrait le journal) ; il fallait, primo, « se méfier des réflexes hérités d’un long passé », deuxio, « repenser le mode d’intégration symbolique de la nation » en fonction de la nouvelle « diversité ethnique et culturelle » de la société québécoise, et, tertio,  ré-inventer « l’identité collective » des Québécois « en suivant un autre modèle, adapté à la co-intégration ». Et pour arriver à construire sur ces cendres fumantes cette « espèce renouvelée » de la nation québécoise, la formule magique du futur co-commissaire exigeait de nous, rien de moins, de « se départir de l’esprit de la souche » et « se reconnaître dans le pluralisme ». Ce qui, en d’autres mots, exigeait du peuple fondateur du Québec qu’il abandonne son identité dans celui des néo-Québécois, qu’il oublie ses racines et qu’il fonde son esprit dans celui des derniers arrivants.

Pluralisme, multiculturalisme, communautarisme, du pareil au même ! Notre histoire nous fait mal et on nous a appris à en avoir honte. Cessons de nous étonner de n’être plus rien. Dans ce programme d’automutilation collective, les Canadiens français (car c’est bien d’eux dont il s’agit dans cette projection) étaient ainsi donc invités à s’oublier dans l’âme de celui qu’ils accueillent et à se laisser assimiler pour leur plus grand bien. Tout un dénouement (!) qui nous permet d’expliquer, en partie, les causes profondes de la dislocation des forces nationalistes au Québec (car ce sont leurs chefs et leurs penseurs qui ont conçu ce programme) et de comprendre la pensée qui se cache derrière ce pitoyable aveu d’échec écrit par le Parti libéral du Québec dans les interlignes du projet de loi 62. Lord Durham n’avait donc pas vu tout faux ! Une pièce d’anthologie vous dis-je, qui permettra de garnir les plus belles pages de l’histoire de la défection des clercs et du déracinement national…

Et on voit le résultat aujourd’hui, vingt ans après le dernier référendum et huit ans après le dépôt de la Commission Bouchard-Taylor qui n'en a eu que pour les minorités ethno-culturelles, avec cette ultime couche de peinture législative appliquée en bout de piste sous prétexte de la lutte menée contre le djihadisme au Québec ! Une nation qui a perdu foi en elle-même ne pourrait faire autrement. Une nation réduite à l’incapacité et soumise à tous les vents de la défection avec cet innommable projet de loi qui préfère s’attaquer à deux pièces de vêtements religieux, devenus les symboles de notre effondrement, au nom d’une fausse… « neutralité de l’État » (sic)…

Le résultat obtenu est à des années lumières de ce que devrait être une loi promulguant, sans nuances, le principe fondamental de la laïcité de l’État et de ses institutions, une nécessité incontournable dans la construction du sentiment d'appartenance à la nation. À trop vouloir ménager la susceptibilité des minorités et des arrivants pour qu'ils se sentent bien dans leur pays d'adoption, le Québec a fini par perdre à la fois leur respect et leur adhésion ainsi que le ferment mobilisateur et inspirant qui se retrouvait dans la fierté des Canadiens français vivant sur son territoire.

Akakia