Le lac Saint-Jean s'assèche, la catastrophe était pourtant prévisible...
Ci-dessus, le Piékouagami, à son seuil critique. Photo prise de l'embouchure de la rivière Métabetchouane. Russel Bouchard, 6 juillet 2010.
Ci-bas, l'auteur de ces lignes, dans sa remontée de la rivière Manouane pour aller rejoindre son territoire de chasse, à l'automne 1988. Rio-Tinto Alcan manque d'eau dans ses réservoirs du bassin-versant du lac Saint-Jean. Qui ne serait pas estomaqué et déstabilisé de voir le Piékuagami ainsi vidé de son sang ? Le nôtre !
La multinationale dit craindre pour son approvisionnement en électricité et fait peser sur notre région la menace d’une baisse de la production. Ne voulant pas y perdre au change, les syndicats ont étendu le chapelet sur la corde à linge en demandant au Ciel ce qu’il refuse de donner depuis plusieurs mois. Au Lac-Saint-Jean, les élus se tiennent les babines au neutre pour ne pas heurter la susceptibilité de la multinationale et pour ne pas miner leurs propres projets hydroélectriques. Et à Mashteuiatsh, les Ilnutsh, qui ne sont pas totalement innocents dans ce triste résultat, font la danse de la pluie. Bref, selon ce que nous montre la télé, en ce début d'été le lac Saint-Jean n'aura jamais été si sec de mémoire d'homme (et de femme s'entend !). Après la cru déca-millénaire de juillet 1996, nous voilà donc rendus à la décru du millénaire.
Le retour du balancier, ou plutôt un juste retour des choses.
Tout ça était à prévoir. On se rappellera qu'en juin 1999, j'avais été le seul citoyen du Saguenay–Lac-Saint-Jean, voire du Québec, à s'insurger contre le projet de détournement de la rivière Manouane vers le bassin-versant du réservoir Bersimis. J'avais alors écrit une vigoureuse lettre de protestation au premier ministre du Québec et à son ministre des Ressources naturelles (Lucien Bouchard et Jacques Brassard), pourtant deux fils de notre région. Me butant, encore une fois, à l’indifférence de tous, j’avais bien pris soin d’expédier copie de mes objections aux décideurs tous azimuts (voir copie de la lettre ci-jointe). Dans ce son de cloche, je leur avais demandé d'y repenser dix fois plutôt qu'une avant de nous délester de cet apport d'eau sacrée dans laquelle coulait du reste une part de notre avenir collectif. Ce fut peine perdue ! Je n'ai pas eu de réponse ; ni des élus provinciaux et municipaux, ni des chefs syndicaux, ni des dirigeants de l'Hydro-Québec, ni des chefs Ilnutsh qui y avaient donné leur accord parce qu’ils y trouvaient, eux aussi, leur compte. Les journaux, à qui j'avais adressé ma lettre ouverte, ne l'ont évidemment pas publiée et ce qui devait arriver arriva…
Dans mon libelle, j'écrivais alors : « Sur d’autres continents, il est présentement des pays qui se font la guerre et s’entre-tuent brutalement depuis des millénaires pour s’assurer leur part à un simple point d’eau. Ici, c’est à n’y rien comprendre, personne ne s’interroge ni ne s’inquiète le moins du monde du lourd précédent et du stress majeur qu’on va faire subir à tout un environnement, à des écosystèmes liés les uns aux autres par le fil de l’eau, au lac Saint-Jean et au fjord du Saguenay. Si nous laissons faire cela sans combattre, si nous permettons bêtement et lâchement à des étrangers de s’approprier notre bien le plus cher —notre eau—, c’est que notre société est morte et enterrée. C’est que les étrangers y sont rois et maîtres en tout et pour tout... »
Cela étant, je ne dis pas que la température exceptionnelle n'y est pas pour quelque chose. Je dis simplement que cette eau qui coule depuis maintenant dix ans vers la Côte-Nord est un manque à gagner environnemental qui nous fait cruellement défaut aujourd'hui, en ces jours de sécheresse. Je dis aussi et encore : bien fait pour Nous ! Tout ça était prévisible ! Fallait y penser, et bien y penser avant de céder notre droit inaliénable de puiser dans cette source naturelle de la plus pure des eaux de la planète et laisser à l’Hydro-Québec, le grand maître d'oeuvre de ce projet débile, le pouvoir absolu de nous dépouiller sans solution de rechange en temps de sécheresse.
Quand je vois le lac Saint-Jean ainsi asséché par les effets combinés de Mère Nature, de l'Hydro-Québec et de l'Alcan, je ne peux m'empêcher de penser à la mer d'Aral, que les Soviétiques ont asséchée pour le plus grand malheur de tous. Dans cette sorte d'expérience néfaste, le malheur est qu'il y aura toujours, comme dans l’actuel désastre du golfe du Mexique, quelqu'un d’assez bien placé dans l’échiquier des décideurs pour oser prétendre que la situation est parfaitement sous contrôle, et qu’il se trouvera toujours quelques gardiens du temple pour nous rassurer sur la suite...
Akakia
Copie de la lettre adressée le 22 juin 1999 au premier ministre du Québec, Lucien Bouchard, et à son ministre des Ressources naturelles, Jacques Brassard.
Le poids d'un sac de trente deniers (!)
«Les Saguenéens moyens perçoivent le lieu où ils vivent et meurent, comme un «Pays» dans le sens le plus pur du terme ; un pays marqué d’originalité et caractérisé par une manière de vivre qui se distingue positivement de celle de la province et, de manière encore plus significative, de celle du Canada. En fait, il s’agit plus précisément d’une culture imprégnée d’un certain mysticisme qui s’apparente étrangement à celui des bâtisseurs des grandes cathédrales d’Europe ; d’une culture qui s'est formée dans les contraintes épouvantables d’une géographie capricieuse, hostile et, à mains égards, inhumaine ; d’une culture qui s’est définie sur la base d’une histoire à la fois singulière et puissante.» (R.B., 1992)
Chicoutimi, 22 juin 1999
Messieurs,
Je n’irai pas par quatre chemins! À mon grand étonnement, les médias viennent de nous apprendre, rubrique des bonnes nouvelles (!), que la société Hydro-Québec et la bande montagnaise de Betsiamites, sur la Côte-Nord du Québec, ont conclu dernièrement —sans que nous y soyons conviés— une entente pour détourner les têtes des rivières Portneuf, Sault-aux-Cochons et Manouane, vers la rivière Bersimis (anciennement les Betsiamites) afin qu’elles puissent augmenter la production d’énergie hydroélectrique. En ce qui concerne les deux premiers cours d’eau, je n’ai évidemment pas grand chose à redire sur la viabilité et la pertinence du projet, car ils sont des tributaires du Saint-Laurent et ils appartiennent de plein droit aux habitants de la Côte-Nord du Saint-Laurent (aussi bien dire un autre pays!). Mais pour ce qui est de la rivière Manouane, c’est une toute autre affaire...
Comprenez-moi bien! Il ne s’agit pas ici d’un mince projet! Il ne s’agit pas d’un simple filet d’eau qu’on détourne sur quelques kilomètres —que non!—, mais bien d’une rivière grosse et longue comme un fleuve, d’une rivière belle et pure comme le jour, d’une rivière animée de mille formes de vie, giboyeuse et poissonneuse, d’une rivière qui baigne sur son cours une immense vallée verdoyante, sauvage et chargée d’histoire, d’une rivière qu’on envisage de détourner d’ici peu pour la jeter à mille lieux de là, dans un autre bassin versant et jusqu’à la fin des temps.
Sur d’autres continents, il est présentement des pays qui se font la guerre et s’entre-tuent brutalement depuis des millénaires pour s’assurer leur part à un simple point d’eau. Ici, c’est à n’y rien comprendre, personne ne s’interroge ni ne s’inquiète le moins du monde du lourd précédent et du stress majeur qu’on va faire subir à tout un environnement, à des écosystèmes liés les uns aux autres par le fil de l’eau, au lac Saint-Jean et au fjord du Saguenay. Si nous laissons faire cela sans combattre, si nous permettons bêtement et lâchement à des étrangers de s’approprier notre bien le plus cher —notre eau—, c’est que notre société est morte et enterrée. C’est que les étrangers y sont rois et maîtres en tout et pour tout. Et que ceux qui y restent sont leurs esclaves, leur Nourriture...
Expliquez-moi la logique de cette entente entre deux peuples étrangers (en l’occurrence les Montagnais de la Côte-Nord et le gouvernement du Québec) qui s’arrogent le droit totalitaire de chaparder un patrimoine environnemental et une ressource naturelle qui ne sont pas leurs, et qui appartiennent —naturellement depuis la dernière glaciation du Wisconsin, voilà 10,000 ans— à ma vraie patrie, le Saguenay—Lac-Saint-Jean. Depuis quatre siècles maintenant, le gouvernement colonial de Québec pille et prédate sans compter, sans vergogne, les ressources naturelles de mon «Pays» mes amours ; il tue la faune pour la fourrure et son propre profit, détruit les forêts pour enrichir l’État qu’il incarne et les multinationales qui le guident; il soutire de nos rivières l’énergie hydroélectrique qui alimente les usines du sud et engraisse les redevances de son gouvernement qui siège à Québec. Maintenant que le sol a été souillé pour satisfaire l’appétit des agents extérieurs, maintenant que la forêt agonise à cause de la déprédation menée par des étrangers, maintenant que la pauvreté enveloppe la faune et les gens de mon «Pays», voilà que vous décidez, manu militari, sans mandat du peuple du Saguenay—Lac-Saint-Jean et à son détriment, de détourner un cours d’eau entier qui fait partie de son patrimoine exclusif pour satisfaire des intérêts étrangers —fussent-ils Montagnais de la Côte-Nord. L’usufruit de nos cours d’eau nous échappera ainsi pour les siècles et les siècles.
Vous dire à quel point cette agression heurte, blesse, outrage et souille mon être, ne se peut pas! Et vous en êtes, vous nos représentants, les premiers responsables!!!
Vous qui êtes venus au monde ici, au «Pays» du Saguenay—Lac-Saint-Jean. Vous qui avez étudié dans nos collèges et prié dans nos églises. Vous qui avez enterré des parents dans nos cimetières. Vous qui avez mangé à nos tables comme des frères et qui partagez inexorablement la même histoire, comment pouvez-vous parrainer une telle atteinte à notre identité ? Comment pouvez-vous fomenter et participer à ce viol collectif contre l’intégrité de notre territoire ? un tel saccage de notre mère la Terre ? un tel détournement de ressources qui n’appartiennent qu’à nous, les gens de ce «Pays», membres des premières nations auxquels j’appartiens au premier chef par le sang et par l’histoire, et derniers arrivants auxquels j’appartiens tout autant ? Oui! comment (?), en votre âme et conscience pouvez-vous permettre cela !...
Avec l’horreur qui m’étreint l’âme depuis que j’ai eu vent de l’accord, j’aurais le goût de crier plus fort ma peine et ma honte. La gravité de la chose m’oblige à plus de retenue. Je n’ai pas les moyens de vous refouler à l’extérieur de nos frontières, de protéger l’intégrité de notre territoire, de vous faire changer d’avis ou de vous inciter à reconsidérer la question dans le respect, la dignité, de la population que vous dépouillez sans vergogne. Mais je veux que vous preniez note pour l’histoire qui s’écrit présentement, de mon profond, total, royal et sans nuance désaccord envers cette agression d’une ampleur sans précédent qui se trame sous votre gouverne, contre nous, contre notre patrimoine et contre notre terre.
Messieurs nos représentants élus, présentez-nous les motifs d’accepter un tel sacrifice, et je voudrai bien requestionner la dureté de mon jugement à votre endroit. Un seul et mince avantage pour les gens de ce «Pays», vous dis-je, et je promets de brûler lampions à votre santé et de vanter vos mérites à tout vent...
J’ignore le poids d’un sac de trente deniers.
J’ignore quelles fontaines abreuvent vos conscien ces... mais je puis vous assurer entre temps, à tous les deux, que l’Histoire, ma descendance et la vôtre se rappelleront de la souffrance que vous leur avez fabriquée durablement en un temps où votre engagement était sollicité avec tant d’à propos, en un temps où vous pouviez l’aider à se sortir de l’ornière profonde dans laquelle l’histoire des quatre derniers siècles l’y a précipitée. Dieu vous pardonne messieurs nos représentants territoriaux... Qu’il nous vienne en aide! Nous en aurons bien besoin après votre passage...
Quel gâchis!
Je me surprends à rêver plus fort d’un «Pays» nouveau où nous, Saguenéens et Jeannois, serons enfin chez nous —et défendus par les nôtres. D’un «Pays» délimité par son unique bassin versant, baigné par sa mer intérieure, animé par le fjord majestueux qui lui ouvre la porte sur le monde et sur son avenir. Un «Pays» où tous les gens qui l’habitent et le sculptent par leur labeur, se respecteront et seront respectés pour ce qu’ils sont. Oui, je rêve d’un «Pays» à Nous, d’une contrée où il sera interdit d’étouffer le murmure de la terre, la soif et les rêves de justice, de liberté et d’épanouissement qu’elle peut assouvir. Et à l’aide du mal qu’on lui fait, je rêve que le Saguenay—Lac-Saint-Jean, un jour pas trop lointain, sache trouver en lui la force de se libérer de la Peur, clé de voûte du système, pour vivre en paix et prospérer en harmonie avec ses voisins.
Et vous messieurs nos représentants, à quoi rêvez-vous ? Que faites-vous de nos rêves ?...
Russel Bouchard
fils et citoyen du «Pays de Saguenay»,
membre de l’Alliance Autochtone du Canada,
historien et écrivain né libre.
C.C. Denis 1er, Roi de L’Anse;
André Harvey, député fédéral du comté Chicoutimi;
Hubert Desbiens, ex-député du comté Dubuc;
André Caillé, société Hydro-Québec;
Jacques Bougie, Alcan;
Pierre Dubuc, L’Aut’ Journal;
Louis-Gilles Francoeur, Le Devoir;
Journal La Presse;
Carol Néron, Le Quotidien;
Bertrand Tremblay, Le Quotidien;
Journal culturel Lubie;
Conseil de bande de Betsiamistes;
Conseil de bande de Mashteuiatsh.
Ci-bas, l'auteur de ces lignes, dans sa remontée de la rivière Manouane pour aller rejoindre son territoire de chasse, à l'automne 1988. Rio-Tinto Alcan manque d'eau dans ses réservoirs du bassin-versant du lac Saint-Jean. Qui ne serait pas estomaqué et déstabilisé de voir le Piékuagami ainsi vidé de son sang ? Le nôtre !
La multinationale dit craindre pour son approvisionnement en électricité et fait peser sur notre région la menace d’une baisse de la production. Ne voulant pas y perdre au change, les syndicats ont étendu le chapelet sur la corde à linge en demandant au Ciel ce qu’il refuse de donner depuis plusieurs mois. Au Lac-Saint-Jean, les élus se tiennent les babines au neutre pour ne pas heurter la susceptibilité de la multinationale et pour ne pas miner leurs propres projets hydroélectriques. Et à Mashteuiatsh, les Ilnutsh, qui ne sont pas totalement innocents dans ce triste résultat, font la danse de la pluie. Bref, selon ce que nous montre la télé, en ce début d'été le lac Saint-Jean n'aura jamais été si sec de mémoire d'homme (et de femme s'entend !). Après la cru déca-millénaire de juillet 1996, nous voilà donc rendus à la décru du millénaire.
Le retour du balancier, ou plutôt un juste retour des choses.
Tout ça était à prévoir. On se rappellera qu'en juin 1999, j'avais été le seul citoyen du Saguenay–Lac-Saint-Jean, voire du Québec, à s'insurger contre le projet de détournement de la rivière Manouane vers le bassin-versant du réservoir Bersimis. J'avais alors écrit une vigoureuse lettre de protestation au premier ministre du Québec et à son ministre des Ressources naturelles (Lucien Bouchard et Jacques Brassard), pourtant deux fils de notre région. Me butant, encore une fois, à l’indifférence de tous, j’avais bien pris soin d’expédier copie de mes objections aux décideurs tous azimuts (voir copie de la lettre ci-jointe). Dans ce son de cloche, je leur avais demandé d'y repenser dix fois plutôt qu'une avant de nous délester de cet apport d'eau sacrée dans laquelle coulait du reste une part de notre avenir collectif. Ce fut peine perdue ! Je n'ai pas eu de réponse ; ni des élus provinciaux et municipaux, ni des chefs syndicaux, ni des dirigeants de l'Hydro-Québec, ni des chefs Ilnutsh qui y avaient donné leur accord parce qu’ils y trouvaient, eux aussi, leur compte. Les journaux, à qui j'avais adressé ma lettre ouverte, ne l'ont évidemment pas publiée et ce qui devait arriver arriva…
Dans mon libelle, j'écrivais alors : « Sur d’autres continents, il est présentement des pays qui se font la guerre et s’entre-tuent brutalement depuis des millénaires pour s’assurer leur part à un simple point d’eau. Ici, c’est à n’y rien comprendre, personne ne s’interroge ni ne s’inquiète le moins du monde du lourd précédent et du stress majeur qu’on va faire subir à tout un environnement, à des écosystèmes liés les uns aux autres par le fil de l’eau, au lac Saint-Jean et au fjord du Saguenay. Si nous laissons faire cela sans combattre, si nous permettons bêtement et lâchement à des étrangers de s’approprier notre bien le plus cher —notre eau—, c’est que notre société est morte et enterrée. C’est que les étrangers y sont rois et maîtres en tout et pour tout... »
Cela étant, je ne dis pas que la température exceptionnelle n'y est pas pour quelque chose. Je dis simplement que cette eau qui coule depuis maintenant dix ans vers la Côte-Nord est un manque à gagner environnemental qui nous fait cruellement défaut aujourd'hui, en ces jours de sécheresse. Je dis aussi et encore : bien fait pour Nous ! Tout ça était prévisible ! Fallait y penser, et bien y penser avant de céder notre droit inaliénable de puiser dans cette source naturelle de la plus pure des eaux de la planète et laisser à l’Hydro-Québec, le grand maître d'oeuvre de ce projet débile, le pouvoir absolu de nous dépouiller sans solution de rechange en temps de sécheresse.
Quand je vois le lac Saint-Jean ainsi asséché par les effets combinés de Mère Nature, de l'Hydro-Québec et de l'Alcan, je ne peux m'empêcher de penser à la mer d'Aral, que les Soviétiques ont asséchée pour le plus grand malheur de tous. Dans cette sorte d'expérience néfaste, le malheur est qu'il y aura toujours, comme dans l’actuel désastre du golfe du Mexique, quelqu'un d’assez bien placé dans l’échiquier des décideurs pour oser prétendre que la situation est parfaitement sous contrôle, et qu’il se trouvera toujours quelques gardiens du temple pour nous rassurer sur la suite...
Akakia
Copie de la lettre adressée le 22 juin 1999 au premier ministre du Québec, Lucien Bouchard, et à son ministre des Ressources naturelles, Jacques Brassard.
Le poids d'un sac de trente deniers (!)
«Les Saguenéens moyens perçoivent le lieu où ils vivent et meurent, comme un «Pays» dans le sens le plus pur du terme ; un pays marqué d’originalité et caractérisé par une manière de vivre qui se distingue positivement de celle de la province et, de manière encore plus significative, de celle du Canada. En fait, il s’agit plus précisément d’une culture imprégnée d’un certain mysticisme qui s’apparente étrangement à celui des bâtisseurs des grandes cathédrales d’Europe ; d’une culture qui s'est formée dans les contraintes épouvantables d’une géographie capricieuse, hostile et, à mains égards, inhumaine ; d’une culture qui s’est définie sur la base d’une histoire à la fois singulière et puissante.» (R.B., 1992)
Chicoutimi, 22 juin 1999
Messieurs,
Je n’irai pas par quatre chemins! À mon grand étonnement, les médias viennent de nous apprendre, rubrique des bonnes nouvelles (!), que la société Hydro-Québec et la bande montagnaise de Betsiamites, sur la Côte-Nord du Québec, ont conclu dernièrement —sans que nous y soyons conviés— une entente pour détourner les têtes des rivières Portneuf, Sault-aux-Cochons et Manouane, vers la rivière Bersimis (anciennement les Betsiamites) afin qu’elles puissent augmenter la production d’énergie hydroélectrique. En ce qui concerne les deux premiers cours d’eau, je n’ai évidemment pas grand chose à redire sur la viabilité et la pertinence du projet, car ils sont des tributaires du Saint-Laurent et ils appartiennent de plein droit aux habitants de la Côte-Nord du Saint-Laurent (aussi bien dire un autre pays!). Mais pour ce qui est de la rivière Manouane, c’est une toute autre affaire...
Comprenez-moi bien! Il ne s’agit pas ici d’un mince projet! Il ne s’agit pas d’un simple filet d’eau qu’on détourne sur quelques kilomètres —que non!—, mais bien d’une rivière grosse et longue comme un fleuve, d’une rivière belle et pure comme le jour, d’une rivière animée de mille formes de vie, giboyeuse et poissonneuse, d’une rivière qui baigne sur son cours une immense vallée verdoyante, sauvage et chargée d’histoire, d’une rivière qu’on envisage de détourner d’ici peu pour la jeter à mille lieux de là, dans un autre bassin versant et jusqu’à la fin des temps.
Sur d’autres continents, il est présentement des pays qui se font la guerre et s’entre-tuent brutalement depuis des millénaires pour s’assurer leur part à un simple point d’eau. Ici, c’est à n’y rien comprendre, personne ne s’interroge ni ne s’inquiète le moins du monde du lourd précédent et du stress majeur qu’on va faire subir à tout un environnement, à des écosystèmes liés les uns aux autres par le fil de l’eau, au lac Saint-Jean et au fjord du Saguenay. Si nous laissons faire cela sans combattre, si nous permettons bêtement et lâchement à des étrangers de s’approprier notre bien le plus cher —notre eau—, c’est que notre société est morte et enterrée. C’est que les étrangers y sont rois et maîtres en tout et pour tout. Et que ceux qui y restent sont leurs esclaves, leur Nourriture...
Expliquez-moi la logique de cette entente entre deux peuples étrangers (en l’occurrence les Montagnais de la Côte-Nord et le gouvernement du Québec) qui s’arrogent le droit totalitaire de chaparder un patrimoine environnemental et une ressource naturelle qui ne sont pas leurs, et qui appartiennent —naturellement depuis la dernière glaciation du Wisconsin, voilà 10,000 ans— à ma vraie patrie, le Saguenay—Lac-Saint-Jean. Depuis quatre siècles maintenant, le gouvernement colonial de Québec pille et prédate sans compter, sans vergogne, les ressources naturelles de mon «Pays» mes amours ; il tue la faune pour la fourrure et son propre profit, détruit les forêts pour enrichir l’État qu’il incarne et les multinationales qui le guident; il soutire de nos rivières l’énergie hydroélectrique qui alimente les usines du sud et engraisse les redevances de son gouvernement qui siège à Québec. Maintenant que le sol a été souillé pour satisfaire l’appétit des agents extérieurs, maintenant que la forêt agonise à cause de la déprédation menée par des étrangers, maintenant que la pauvreté enveloppe la faune et les gens de mon «Pays», voilà que vous décidez, manu militari, sans mandat du peuple du Saguenay—Lac-Saint-Jean et à son détriment, de détourner un cours d’eau entier qui fait partie de son patrimoine exclusif pour satisfaire des intérêts étrangers —fussent-ils Montagnais de la Côte-Nord. L’usufruit de nos cours d’eau nous échappera ainsi pour les siècles et les siècles.
Vous dire à quel point cette agression heurte, blesse, outrage et souille mon être, ne se peut pas! Et vous en êtes, vous nos représentants, les premiers responsables!!!
Vous qui êtes venus au monde ici, au «Pays» du Saguenay—Lac-Saint-Jean. Vous qui avez étudié dans nos collèges et prié dans nos églises. Vous qui avez enterré des parents dans nos cimetières. Vous qui avez mangé à nos tables comme des frères et qui partagez inexorablement la même histoire, comment pouvez-vous parrainer une telle atteinte à notre identité ? Comment pouvez-vous fomenter et participer à ce viol collectif contre l’intégrité de notre territoire ? un tel saccage de notre mère la Terre ? un tel détournement de ressources qui n’appartiennent qu’à nous, les gens de ce «Pays», membres des premières nations auxquels j’appartiens au premier chef par le sang et par l’histoire, et derniers arrivants auxquels j’appartiens tout autant ? Oui! comment (?), en votre âme et conscience pouvez-vous permettre cela !...
Avec l’horreur qui m’étreint l’âme depuis que j’ai eu vent de l’accord, j’aurais le goût de crier plus fort ma peine et ma honte. La gravité de la chose m’oblige à plus de retenue. Je n’ai pas les moyens de vous refouler à l’extérieur de nos frontières, de protéger l’intégrité de notre territoire, de vous faire changer d’avis ou de vous inciter à reconsidérer la question dans le respect, la dignité, de la population que vous dépouillez sans vergogne. Mais je veux que vous preniez note pour l’histoire qui s’écrit présentement, de mon profond, total, royal et sans nuance désaccord envers cette agression d’une ampleur sans précédent qui se trame sous votre gouverne, contre nous, contre notre patrimoine et contre notre terre.
Messieurs nos représentants élus, présentez-nous les motifs d’accepter un tel sacrifice, et je voudrai bien requestionner la dureté de mon jugement à votre endroit. Un seul et mince avantage pour les gens de ce «Pays», vous dis-je, et je promets de brûler lampions à votre santé et de vanter vos mérites à tout vent...
J’ignore le poids d’un sac de trente deniers.
J’ignore quelles fontaines abreuvent vos conscien ces... mais je puis vous assurer entre temps, à tous les deux, que l’Histoire, ma descendance et la vôtre se rappelleront de la souffrance que vous leur avez fabriquée durablement en un temps où votre engagement était sollicité avec tant d’à propos, en un temps où vous pouviez l’aider à se sortir de l’ornière profonde dans laquelle l’histoire des quatre derniers siècles l’y a précipitée. Dieu vous pardonne messieurs nos représentants territoriaux... Qu’il nous vienne en aide! Nous en aurons bien besoin après votre passage...
Quel gâchis!
Je me surprends à rêver plus fort d’un «Pays» nouveau où nous, Saguenéens et Jeannois, serons enfin chez nous —et défendus par les nôtres. D’un «Pays» délimité par son unique bassin versant, baigné par sa mer intérieure, animé par le fjord majestueux qui lui ouvre la porte sur le monde et sur son avenir. Un «Pays» où tous les gens qui l’habitent et le sculptent par leur labeur, se respecteront et seront respectés pour ce qu’ils sont. Oui, je rêve d’un «Pays» à Nous, d’une contrée où il sera interdit d’étouffer le murmure de la terre, la soif et les rêves de justice, de liberté et d’épanouissement qu’elle peut assouvir. Et à l’aide du mal qu’on lui fait, je rêve que le Saguenay—Lac-Saint-Jean, un jour pas trop lointain, sache trouver en lui la force de se libérer de la Peur, clé de voûte du système, pour vivre en paix et prospérer en harmonie avec ses voisins.
Et vous messieurs nos représentants, à quoi rêvez-vous ? Que faites-vous de nos rêves ?...
Russel Bouchard
fils et citoyen du «Pays de Saguenay»,
membre de l’Alliance Autochtone du Canada,
historien et écrivain né libre.
C.C. Denis 1er, Roi de L’Anse;
André Harvey, député fédéral du comté Chicoutimi;
Hubert Desbiens, ex-député du comté Dubuc;
André Caillé, société Hydro-Québec;
Jacques Bougie, Alcan;
Pierre Dubuc, L’Aut’ Journal;
Louis-Gilles Francoeur, Le Devoir;
Journal La Presse;
Carol Néron, Le Quotidien;
Bertrand Tremblay, Le Quotidien;
Journal culturel Lubie;
Conseil de bande de Betsiamistes;
Conseil de bande de Mashteuiatsh.
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