Les régions ressources au service de Montréal : le rapport HMR (1970-2006)
Tel que promis, voici donc la troisième partie (de cinq) de la conférence présentée vendredi 6 octobre, devant les membres de l'Ordre des Évaluateurs Agréés du Québec. Pour une présentation plus détaillée, voir l'avant-propos de la chronique du 7 septembre. R.B.
Demain, À NE PAS MANQUER : « Le cas de l'effondrement de l'industrie forestière »
3- Les régions ressources au service de Montréal :
le rapport HMR (1970-2006)
« Montréal alimente la colère des régions », écrit Denis Bouchard dans la dernière édition du Progrès-Dimanche (1). Le fossé qui sépare les régions du Québec des grands centres urbains continue de se creuser à une vitesse vertigineuse... »
Ainsi qu’en fait foi un mémoire rédigé par la section régionale 02 de l’Association des Économistes du Québec, les malaises dans lesquels s’enlisent les régions ressources de la nation en devenir ne sont que les premiers symptômes d’une décadence économique, sociale et démographique appelée à s’accélérer. Cette situation est redevable, pour un, à un déplacement de fond du pôle de production des ressources naturelles de l’Amérique du Nord au profit de l’Amérique Latine, de l’Afrique, de l’Australie, de l'ex-URSS et de la Chine, une réalité sur laquelle le Québec n’a pratiquement pas d’influence il faut dire ; elle est imputable, pour deux, à « une accélération du processus de polarisation des activités au sein de l’espace québécois avec Montréal comme pôle de concentration des hommes, des ressources, de l’équipement et des circuits de connectivités », une suite prévisible du « Plan » amorcé en fonction de l’idéal souverainiste ; et elle est vouée, pour trois, à une « tertiarisation » accentuée de notre économie, le contraire du bon sens.(2)
Conséquences directes de cette mutation économique et de ce « conditionnement idéologique » suicidaire, poursuivent les observateurs, nous assistons : 1- à une accélération des disparités sectorielles et régionales ; 2- à un déplacement de la population active du Québec ressources vers la zone métropolitaine « devenue lieu de polarisation du chômage « urbanisé » au Québec » ; 3- à un affaiblissement de la part relative des secteurs primaire et manufacturier conjugué au déclin des zones périphériques (en même temps que le pôle de croissance de Montréal subit « l’effet d’entonnoir ») ; 4- et à un déplacement du « centre de gravité de l’économie vers Toronto »(3).
Autrement dit : comme un pôle n’existe qu’en fonction de sa périphérie, en pillant ses ressources naturelles de la sorte sans se préoccuper du fossé qu’il creuse entre la métropole et le reste de son territoire, le Québec se tisse hardiment une corde pour se pendre. Il adopte le modèle qui a fait du Sud l’esclave du Nord. Il s’enligne tout droit vers sa tiersmondisation, ultime conséquence d’un mauvais choix de société, un choix imaginé : (Un) par le ministère fédéral de l’Expansion économique régionale (MEER) (4) ; (deux) adopté tel quel par le gouvernement libéral de Robert Bourassa (5) ; (trois) récupéré par le Parti québécois de René Lévesque qui en a fait les solives de son programme électoral (6) ; (quatre) et activé par ce dernier dans une dynamique nationale, lors de son arrivée au pouvoir, en 1976, comme en font foi la réorganisation du ministère de l’Énergie et des Ressources et la politique du développement du Moyen-Nord, cette dernière étant appelée à prendre de l’ampleur à l’aube de la décennie quatre-vingt.
Dans cette manière de penser l’avenir du Québec et l’usage de ses principales ressources naturelles, la forêt, l'eau et les humains qui y vivent, on ne parle donc pas de complot, mais de consensus des forces actives de la nation. Pour des considérations historiques, géographiques, politiques et idéologiques, on comprendra dès lors que le Saguenay–Lac-Saint-Jean n’avait ni la capacité de refuser ce programme, ni les outils lui permettant d’échapper à cette mouvance sociétale fatale, ni, d’ailleurs, la volonté des élites en place de s’objecter, au prix de l’effort et du renoncement, à cette course à la mort.(7)
Tout récemment, en prévision de la campagne électorale devant le hisser à la tête du Parlement du Québec, l'aspirant premier ministre Jean Charest, sans aucune hésitation, prônait, rien de moins, une « révolution des régions ». Le Parti libéral, clamait-il alors, « prend l'engagement solennel d'accorder une priorité absolue au développement des régions et des milieux ruraux du Québec ». Le 29 mai 2001, devant ses militants réunis en conseil général à Mont-Tremblant, il signait, avec sa future ministre Nathalie Normandeau, une déclaration solennelle à l'effet que « L'avenir du Québec passe par les régions » et promettait, une fois élu, que lui et son gouvernement allaient tirer profit de la « révolution des régions ». C'était alors pour lui une question de « justice sociale » et une « politique au sens noble du terme »(8). On a vu ce que cela a donné !
De deux choses l'une : soit M. Charest et sa future ministre étaient loin de se douter dans quelle galère ils s'embarquaient en promettant cela ; soit ils savaient l'un et l'autre qu'ils se liaient envers l'impossibilité de livrer la marchandise et qu'ils n'avaient aucunement l'intention de tenir leurs promesses. Dans les deux cas, le résultat ne pouvait être autrement que ce que nous vivons aujourd'hui : l'effondrement du Québec, à commencer par celui des régions du Québec qui s'est emballé au lieu de s'atténuer. Car, au rythme où vont les choses et à la vitesse qu'a prise le « train sans conducteur » de la dépopulation des régions pour reprendre les termes du sociologue et ami Charles Côté, qui a pourtant commencé à sonner le tocsin en 1986 dans un mémoire présenté à la Commission sur l'avenir du Québec ; à la vitesse où file ce train, la MRC du Fjord-du-Saguenay a vu et verra passer son poids relatif de 2,7% qu'il était en 1980, à 2,4% (2006) puis à 1,5% en 2030 (9). Une catastrophe annoncée dont on ne peut encore imaginer toutes les conséquences.
En évitant d'adopter des politiques courageuses et éclairées pour corriger cette catastrophe prévisible quand il était encore temps, les gouvernements québécois qui se sont succédés depuis 1970 —je dis bien tous les gouvernements sans exception, de Bourassa à Charest, en passant par Johnson, Parizeau, Bouchard et Landry—, sont à blâmer et doivent être tenus responsable de cet état pitoyable du Québec. Par laxisme, lâcheté, incompétence ou malveillance, par le biais de politiques assassines et impropres à un État qui se veut et se dit moderne, ils ont fait comme si de rien n'était et ont plutôt tenté de réduire à l'impuissance les critiques qui les invitaient à modifier cette trajectoire. Au mépris de leurs devoirs les plus sacrés —le bien-être du peuple et l'avenir du Québec— ils ont contribué à élargir le fossé des inégalités inter-régionales ; ils ont créé la pauvreté dans les régions périphériques pour maintenir ailleurs une illusion de richesse ; ils ont favorisé l'exode des jeunes vers les grands centres ; et, cela étant, ils ont mortellement affaibli la structure de la société québécoise au point de la mettre en péril. Bref, ces gens, à qui nous avons accordé notre confiance, nos biens, notre avenir et nos vies, ont été les grands architectes de cet édifice québécois qui s'effondre sous nos regards dramatiquement impuissants.
Les analystes les plus compétents et les plus réputés en la matière confirment du reste ce résultat pitoyable. En effet, dans un bilan publié (en novembre 2003) par l'Institut Fraser et confirmé par la firme de courtage Standard & Poor's (novembre 2005 (10) ), cette politique insalubre est une production strictement « made in Quebec » et n'est que le résultat d'une mauvaise gestion de la richesse collective du Québec :
« Des décennies de mauvaise politique gouvernementale ont laissé les Québécois et les Québécoises plus pauvres et avec un niveau de chômage plus élevé qu'il ne faut... La majorité des gens ne se rendent pas compte à quel point le Québec a en fait un mauvais rendement si on le compare à des juridictions similaires... Parmi les principales provinces industrielles et les États-Unis, le Québec possède de loin le pire dossier pour ce qui est de la création d'emplois et de richesse. »(11)
Sans projet de société concret, c'est-à-dire sans un engagement à long terme de l'État, doublé d'une participation collective soutenue et encouragée pour permettre à l'ensemble de la société québécoise de participer à l'enrichissement collectif, il était impossible d'arriver à un autre résultat que cette désolation. Ces gouvernements, qui ont dirigé l'État du Québec comme on administre un marché public ou une usine de pneus, ont tout fait pour en arriver là : ils ont mis à contribution la richesse collective au profit de la Métropole ; ils ont dépouillé les régions du Québec des activités générées par le secteur public (diminution graduelle des salaires de l'État employeur, des entreprises de service de l'État et des transferts gouvernementaux aux plus démunis) ; et ils ont trompé la population en soutenant, contre toute vérité, que tout allait pour le mieux dans le pire des mondes, qu'il n'y avait pas de manque à gagner dans la péréquation entre les régions ressources et la Métropole (écoles, hôpitaux, services de l'État). Ce qui signifie, concrètement, qu'un retrait graduel de l'État dans ces transferts d'argent signifie que l'État contribue délibérément à accentuer les disparités régionales et, partant, à accélérer le sous-développement de ces régions...
Comme l'ont fait du reste (à Alma, le 12 septembre 2000) le vice-premier ministre Landry et le ministre senior Jacques Brassard à l'encontre des « oiseaux de malheur qui annoncent le déclin des régions », en soutenant contre toute vérité que « le marché du travail [était] en progression, [que] le taux de chômage [avait] baissé de quatre points et [que] le taux d'activité [était] passé de 57 à 62 pour cent.. »
Il s'agissait alors, pour ces élus, de tenter de mettre un frein au questionnement populaire suscité par notre opposition au projet de traité de l'Approche commune, rendu public le 14 juillet précédent, et de limiter les effets de la tournée de la région que nous avions entreprise (les membres fondateurs de la Société du 14 Juillet 2000) pour stimuler la conscience populaire des régionaux. Et ce qu'évitaient de préciser les deux ministres en proférant leurs mensonges, c'est que l'amélioration du taux d'emploi, la diminution du chômage et le succès du taux de croissance n'étaient qu'une sordide manipulation de quelques chiffres sortis hors contexte, et que cette situation —momentanée— était due, en fait, à la construction de la nouvelle aluminerie d'Alma. —Comme dans le cas actuel de la construction de la centrale hydroélectrique de Shipshaw IV, un leurre de prospérité !!!
« La tournée ministérielle du gouvernement du Québec dans la région a débuté par une série de règlements de compte, hier matin, alors que le vice-premier ministre, Bernard Landry et Jacques Brassard, ont dirigé une rafale contre des éditorialistes, l'étude Moussaly et les oiseaux de malheur qui annoncent le déclin du Saguenay–Lac-Saint-Jean... Le député Jacques Brassard, ministre des Ressources-naturelles, a lui-même donné le ton à la rencontre de presse en annonçant que les élus présents allaient rétablir certains faits entretenus par un discours misérabiliste et apocalyptique. Le ministre Brassard a invité les critiques à consulter le dernier bulletin sur la main-d'oeuvre. Le marché du travail est en progression, le taux de chômage a baissé de quatre points et le taux d'activité est passé de 57 à 62 pour cent... Bernard Landry veut qu'on cesse de faire croire que le Saguenay–Lac-Saint-Jean est la quatorzième région du Québec en terme de développement de l'emploi alors qu'elle est la deuxième. »(12)
Russel Bouchard
La suite demain
Notes :
1- Denis Bouchard, « Montréal alimente la colère des régions », Progrès-Dimanche, 1er octobre 2006, p. A10.
2- « L’économie du Saguenay–Lac-Saint-Jean et le potentiel en ressources du Moyen-Nord », Mémoire de l’Association des Économistes du Québec, Section Saguenay–Lac-Saint-Jean déposé lors du Colloque portant sur « Les contraintes au développement du Moyen-Nord québécois » tenu à l’Université du Québec à Chicoutimi les 12, 13 et 14 octobre 1978, Cahiers de l’ACFAS, no 1, 1979, p. 47-58.
3- Ibid.
4- Témoin, ce sidérant extrait des orientations et objectifs proposés dans le rapport H.M.R. : « On nous a demandé de définir les grandes orientations que devrait prendre le développement régional du Québec dans les années soixante-dix. [...] Nos options consistent : à favoriser l’expansion de Montréal ; à stimuler les activités de développement ; à renforcer la position concurrentielle de Montréal sur les marchés internationaux et canadiens ; [...] Il n’y a rien de répréhensible à supprimer la pauvreté et le chômage dans une région peu développée en attirant la population dans une ville dynamique ; l’essentiel des progrès passés s’est effectué précisément ainsi. Mais si tel est notre but, il faut être clair à ce propos et s’assurer que cela s’effectuera à une échelle suffisamment élevée pour éviter d’accroître la misère de ceux qui restent. Nous sommes confrontés une fois de plus avec le problème des seuils. » Cf., B. Higgins, F. Martin & A. Raynauld, Les orientations du développement économique régional dans la province de Québec, Rapport soumis au ministère de l’Expansion économique régionale, Ottawa, 1970, p. 145, 152.
5- Témoin, une allocution du ministre des Finances, Raymond Garneau, prononcée à l’occasion du « Symposium sur l’avenir économique de Montréal » organisé le 14 septembre 1971 par le Montreal Board of Trade et par la Chambre de commerce du district de Montréal, une homélie qui deviendra, depuis lors, le credo du Parti libéral du Québec : « Je suis très heureux d’être avec vous pour... vous indiquer la volonté ferme du gouvernement du Québec de mettre tout en oeuvre pour que Montréal grandisse au rythme des grandes métropoles du monde... Il faudra aussi, à mon avis, dépasser ce vieux débat qui revient quelquefois à la surface, et qui consiste à parler du « monstre montréalais » et du désert québécois. Il n’y a pas de « monstre montréalais » ; il y a une région métropolitaine qui doit se développer rapidement pour être l’interlocuteur des grands centres urbains de l’Amérique du Nord... ». Cf., Jacques Léveillé, Développement urbain et politiques gouvernementales urbaines dans l’agglomération montréalaise, 1945-1975, Collection Études en science politique, Société canadienne de Science politique, 1978, p. 425.
6- Témoin, cet extrait du programme national, publié en 1970 par le Parti québécois dans La Solution, p. 35-36 : « L’une des premières et les plus urgentes missions de l’Office du Plan sera de préparer un plan complet d’aménagement, d’équipement et de développement régional : [...] Tout cela doit être conçu dans l’optique d’une urbanisation presque intégrale de la population et tenir compte des constatations suivantes : La population rurale ou semi-rurale est appelée à disparaître. [...] La population, dans son ensemble, consomme déjà plus de services que de produits. [...] Alors que la consommation de produits peut se faire en n’importe quel point du territoire, la consommation du service diversifié ne peut se faire qu’à un certain nombre d’endroits. Il faut donc combiner cette constatation avec celle de l’urbanisation presque intégrale et baser le développement urbain essentiellement sur des villes-métropoles. »
7- Russel Bouchard, Annales de l'industrie forestière au Saguenay–Lac-Saint-Jean (1945-2000), Chicoutimi, 2004, pp. 322-324.
8- François Bourque, « Les libéraux prônent une « révolution des régions », Le Journal de Québec, 29 mai 1901, p. 12.
9- Charles Côté, « Le rapport de nécessité entre la croissance démographique des collectivités et le développement de leur économie / Le cas des MRC du Fjord et Ville Saguenay », in Cahiers de développement régional, Saguenay, mars 2006, tableau 1.
10- Les Affaires, 5 novembre 2005, p. 7.
11- Institut Fraser, « Quebec Prosperity, Taking the Next Step », novembre 2003, 82 pages.
12- Denis Bouchard, « Landry règle ses comptes avec les oiseaux de malheur », Le Quotidien, 12 septembre 2000.
Demain, À NE PAS MANQUER : « Le cas de l'effondrement de l'industrie forestière »
3- Les régions ressources au service de Montréal :
le rapport HMR (1970-2006)
« Montréal alimente la colère des régions », écrit Denis Bouchard dans la dernière édition du Progrès-Dimanche (1). Le fossé qui sépare les régions du Québec des grands centres urbains continue de se creuser à une vitesse vertigineuse... »
Ainsi qu’en fait foi un mémoire rédigé par la section régionale 02 de l’Association des Économistes du Québec, les malaises dans lesquels s’enlisent les régions ressources de la nation en devenir ne sont que les premiers symptômes d’une décadence économique, sociale et démographique appelée à s’accélérer. Cette situation est redevable, pour un, à un déplacement de fond du pôle de production des ressources naturelles de l’Amérique du Nord au profit de l’Amérique Latine, de l’Afrique, de l’Australie, de l'ex-URSS et de la Chine, une réalité sur laquelle le Québec n’a pratiquement pas d’influence il faut dire ; elle est imputable, pour deux, à « une accélération du processus de polarisation des activités au sein de l’espace québécois avec Montréal comme pôle de concentration des hommes, des ressources, de l’équipement et des circuits de connectivités », une suite prévisible du « Plan » amorcé en fonction de l’idéal souverainiste ; et elle est vouée, pour trois, à une « tertiarisation » accentuée de notre économie, le contraire du bon sens.(2)
Conséquences directes de cette mutation économique et de ce « conditionnement idéologique » suicidaire, poursuivent les observateurs, nous assistons : 1- à une accélération des disparités sectorielles et régionales ; 2- à un déplacement de la population active du Québec ressources vers la zone métropolitaine « devenue lieu de polarisation du chômage « urbanisé » au Québec » ; 3- à un affaiblissement de la part relative des secteurs primaire et manufacturier conjugué au déclin des zones périphériques (en même temps que le pôle de croissance de Montréal subit « l’effet d’entonnoir ») ; 4- et à un déplacement du « centre de gravité de l’économie vers Toronto »(3).
Autrement dit : comme un pôle n’existe qu’en fonction de sa périphérie, en pillant ses ressources naturelles de la sorte sans se préoccuper du fossé qu’il creuse entre la métropole et le reste de son territoire, le Québec se tisse hardiment une corde pour se pendre. Il adopte le modèle qui a fait du Sud l’esclave du Nord. Il s’enligne tout droit vers sa tiersmondisation, ultime conséquence d’un mauvais choix de société, un choix imaginé : (Un) par le ministère fédéral de l’Expansion économique régionale (MEER) (4) ; (deux) adopté tel quel par le gouvernement libéral de Robert Bourassa (5) ; (trois) récupéré par le Parti québécois de René Lévesque qui en a fait les solives de son programme électoral (6) ; (quatre) et activé par ce dernier dans une dynamique nationale, lors de son arrivée au pouvoir, en 1976, comme en font foi la réorganisation du ministère de l’Énergie et des Ressources et la politique du développement du Moyen-Nord, cette dernière étant appelée à prendre de l’ampleur à l’aube de la décennie quatre-vingt.
Dans cette manière de penser l’avenir du Québec et l’usage de ses principales ressources naturelles, la forêt, l'eau et les humains qui y vivent, on ne parle donc pas de complot, mais de consensus des forces actives de la nation. Pour des considérations historiques, géographiques, politiques et idéologiques, on comprendra dès lors que le Saguenay–Lac-Saint-Jean n’avait ni la capacité de refuser ce programme, ni les outils lui permettant d’échapper à cette mouvance sociétale fatale, ni, d’ailleurs, la volonté des élites en place de s’objecter, au prix de l’effort et du renoncement, à cette course à la mort.(7)
Tout récemment, en prévision de la campagne électorale devant le hisser à la tête du Parlement du Québec, l'aspirant premier ministre Jean Charest, sans aucune hésitation, prônait, rien de moins, une « révolution des régions ». Le Parti libéral, clamait-il alors, « prend l'engagement solennel d'accorder une priorité absolue au développement des régions et des milieux ruraux du Québec ». Le 29 mai 2001, devant ses militants réunis en conseil général à Mont-Tremblant, il signait, avec sa future ministre Nathalie Normandeau, une déclaration solennelle à l'effet que « L'avenir du Québec passe par les régions » et promettait, une fois élu, que lui et son gouvernement allaient tirer profit de la « révolution des régions ». C'était alors pour lui une question de « justice sociale » et une « politique au sens noble du terme »(8). On a vu ce que cela a donné !
De deux choses l'une : soit M. Charest et sa future ministre étaient loin de se douter dans quelle galère ils s'embarquaient en promettant cela ; soit ils savaient l'un et l'autre qu'ils se liaient envers l'impossibilité de livrer la marchandise et qu'ils n'avaient aucunement l'intention de tenir leurs promesses. Dans les deux cas, le résultat ne pouvait être autrement que ce que nous vivons aujourd'hui : l'effondrement du Québec, à commencer par celui des régions du Québec qui s'est emballé au lieu de s'atténuer. Car, au rythme où vont les choses et à la vitesse qu'a prise le « train sans conducteur » de la dépopulation des régions pour reprendre les termes du sociologue et ami Charles Côté, qui a pourtant commencé à sonner le tocsin en 1986 dans un mémoire présenté à la Commission sur l'avenir du Québec ; à la vitesse où file ce train, la MRC du Fjord-du-Saguenay a vu et verra passer son poids relatif de 2,7% qu'il était en 1980, à 2,4% (2006) puis à 1,5% en 2030 (9). Une catastrophe annoncée dont on ne peut encore imaginer toutes les conséquences.
En évitant d'adopter des politiques courageuses et éclairées pour corriger cette catastrophe prévisible quand il était encore temps, les gouvernements québécois qui se sont succédés depuis 1970 —je dis bien tous les gouvernements sans exception, de Bourassa à Charest, en passant par Johnson, Parizeau, Bouchard et Landry—, sont à blâmer et doivent être tenus responsable de cet état pitoyable du Québec. Par laxisme, lâcheté, incompétence ou malveillance, par le biais de politiques assassines et impropres à un État qui se veut et se dit moderne, ils ont fait comme si de rien n'était et ont plutôt tenté de réduire à l'impuissance les critiques qui les invitaient à modifier cette trajectoire. Au mépris de leurs devoirs les plus sacrés —le bien-être du peuple et l'avenir du Québec— ils ont contribué à élargir le fossé des inégalités inter-régionales ; ils ont créé la pauvreté dans les régions périphériques pour maintenir ailleurs une illusion de richesse ; ils ont favorisé l'exode des jeunes vers les grands centres ; et, cela étant, ils ont mortellement affaibli la structure de la société québécoise au point de la mettre en péril. Bref, ces gens, à qui nous avons accordé notre confiance, nos biens, notre avenir et nos vies, ont été les grands architectes de cet édifice québécois qui s'effondre sous nos regards dramatiquement impuissants.
Les analystes les plus compétents et les plus réputés en la matière confirment du reste ce résultat pitoyable. En effet, dans un bilan publié (en novembre 2003) par l'Institut Fraser et confirmé par la firme de courtage Standard & Poor's (novembre 2005 (10) ), cette politique insalubre est une production strictement « made in Quebec » et n'est que le résultat d'une mauvaise gestion de la richesse collective du Québec :
« Des décennies de mauvaise politique gouvernementale ont laissé les Québécois et les Québécoises plus pauvres et avec un niveau de chômage plus élevé qu'il ne faut... La majorité des gens ne se rendent pas compte à quel point le Québec a en fait un mauvais rendement si on le compare à des juridictions similaires... Parmi les principales provinces industrielles et les États-Unis, le Québec possède de loin le pire dossier pour ce qui est de la création d'emplois et de richesse. »(11)
Sans projet de société concret, c'est-à-dire sans un engagement à long terme de l'État, doublé d'une participation collective soutenue et encouragée pour permettre à l'ensemble de la société québécoise de participer à l'enrichissement collectif, il était impossible d'arriver à un autre résultat que cette désolation. Ces gouvernements, qui ont dirigé l'État du Québec comme on administre un marché public ou une usine de pneus, ont tout fait pour en arriver là : ils ont mis à contribution la richesse collective au profit de la Métropole ; ils ont dépouillé les régions du Québec des activités générées par le secteur public (diminution graduelle des salaires de l'État employeur, des entreprises de service de l'État et des transferts gouvernementaux aux plus démunis) ; et ils ont trompé la population en soutenant, contre toute vérité, que tout allait pour le mieux dans le pire des mondes, qu'il n'y avait pas de manque à gagner dans la péréquation entre les régions ressources et la Métropole (écoles, hôpitaux, services de l'État). Ce qui signifie, concrètement, qu'un retrait graduel de l'État dans ces transferts d'argent signifie que l'État contribue délibérément à accentuer les disparités régionales et, partant, à accélérer le sous-développement de ces régions...
Comme l'ont fait du reste (à Alma, le 12 septembre 2000) le vice-premier ministre Landry et le ministre senior Jacques Brassard à l'encontre des « oiseaux de malheur qui annoncent le déclin des régions », en soutenant contre toute vérité que « le marché du travail [était] en progression, [que] le taux de chômage [avait] baissé de quatre points et [que] le taux d'activité [était] passé de 57 à 62 pour cent.. »
Il s'agissait alors, pour ces élus, de tenter de mettre un frein au questionnement populaire suscité par notre opposition au projet de traité de l'Approche commune, rendu public le 14 juillet précédent, et de limiter les effets de la tournée de la région que nous avions entreprise (les membres fondateurs de la Société du 14 Juillet 2000) pour stimuler la conscience populaire des régionaux. Et ce qu'évitaient de préciser les deux ministres en proférant leurs mensonges, c'est que l'amélioration du taux d'emploi, la diminution du chômage et le succès du taux de croissance n'étaient qu'une sordide manipulation de quelques chiffres sortis hors contexte, et que cette situation —momentanée— était due, en fait, à la construction de la nouvelle aluminerie d'Alma. —Comme dans le cas actuel de la construction de la centrale hydroélectrique de Shipshaw IV, un leurre de prospérité !!!
« La tournée ministérielle du gouvernement du Québec dans la région a débuté par une série de règlements de compte, hier matin, alors que le vice-premier ministre, Bernard Landry et Jacques Brassard, ont dirigé une rafale contre des éditorialistes, l'étude Moussaly et les oiseaux de malheur qui annoncent le déclin du Saguenay–Lac-Saint-Jean... Le député Jacques Brassard, ministre des Ressources-naturelles, a lui-même donné le ton à la rencontre de presse en annonçant que les élus présents allaient rétablir certains faits entretenus par un discours misérabiliste et apocalyptique. Le ministre Brassard a invité les critiques à consulter le dernier bulletin sur la main-d'oeuvre. Le marché du travail est en progression, le taux de chômage a baissé de quatre points et le taux d'activité est passé de 57 à 62 pour cent... Bernard Landry veut qu'on cesse de faire croire que le Saguenay–Lac-Saint-Jean est la quatorzième région du Québec en terme de développement de l'emploi alors qu'elle est la deuxième. »(12)
Russel Bouchard
La suite demain
Notes :
1- Denis Bouchard, « Montréal alimente la colère des régions », Progrès-Dimanche, 1er octobre 2006, p. A10.
2- « L’économie du Saguenay–Lac-Saint-Jean et le potentiel en ressources du Moyen-Nord », Mémoire de l’Association des Économistes du Québec, Section Saguenay–Lac-Saint-Jean déposé lors du Colloque portant sur « Les contraintes au développement du Moyen-Nord québécois » tenu à l’Université du Québec à Chicoutimi les 12, 13 et 14 octobre 1978, Cahiers de l’ACFAS, no 1, 1979, p. 47-58.
3- Ibid.
4- Témoin, ce sidérant extrait des orientations et objectifs proposés dans le rapport H.M.R. : « On nous a demandé de définir les grandes orientations que devrait prendre le développement régional du Québec dans les années soixante-dix. [...] Nos options consistent : à favoriser l’expansion de Montréal ; à stimuler les activités de développement ; à renforcer la position concurrentielle de Montréal sur les marchés internationaux et canadiens ; [...] Il n’y a rien de répréhensible à supprimer la pauvreté et le chômage dans une région peu développée en attirant la population dans une ville dynamique ; l’essentiel des progrès passés s’est effectué précisément ainsi. Mais si tel est notre but, il faut être clair à ce propos et s’assurer que cela s’effectuera à une échelle suffisamment élevée pour éviter d’accroître la misère de ceux qui restent. Nous sommes confrontés une fois de plus avec le problème des seuils. » Cf., B. Higgins, F. Martin & A. Raynauld, Les orientations du développement économique régional dans la province de Québec, Rapport soumis au ministère de l’Expansion économique régionale, Ottawa, 1970, p. 145, 152.
5- Témoin, une allocution du ministre des Finances, Raymond Garneau, prononcée à l’occasion du « Symposium sur l’avenir économique de Montréal » organisé le 14 septembre 1971 par le Montreal Board of Trade et par la Chambre de commerce du district de Montréal, une homélie qui deviendra, depuis lors, le credo du Parti libéral du Québec : « Je suis très heureux d’être avec vous pour... vous indiquer la volonté ferme du gouvernement du Québec de mettre tout en oeuvre pour que Montréal grandisse au rythme des grandes métropoles du monde... Il faudra aussi, à mon avis, dépasser ce vieux débat qui revient quelquefois à la surface, et qui consiste à parler du « monstre montréalais » et du désert québécois. Il n’y a pas de « monstre montréalais » ; il y a une région métropolitaine qui doit se développer rapidement pour être l’interlocuteur des grands centres urbains de l’Amérique du Nord... ». Cf., Jacques Léveillé, Développement urbain et politiques gouvernementales urbaines dans l’agglomération montréalaise, 1945-1975, Collection Études en science politique, Société canadienne de Science politique, 1978, p. 425.
6- Témoin, cet extrait du programme national, publié en 1970 par le Parti québécois dans La Solution, p. 35-36 : « L’une des premières et les plus urgentes missions de l’Office du Plan sera de préparer un plan complet d’aménagement, d’équipement et de développement régional : [...] Tout cela doit être conçu dans l’optique d’une urbanisation presque intégrale de la population et tenir compte des constatations suivantes : La population rurale ou semi-rurale est appelée à disparaître. [...] La population, dans son ensemble, consomme déjà plus de services que de produits. [...] Alors que la consommation de produits peut se faire en n’importe quel point du territoire, la consommation du service diversifié ne peut se faire qu’à un certain nombre d’endroits. Il faut donc combiner cette constatation avec celle de l’urbanisation presque intégrale et baser le développement urbain essentiellement sur des villes-métropoles. »
7- Russel Bouchard, Annales de l'industrie forestière au Saguenay–Lac-Saint-Jean (1945-2000), Chicoutimi, 2004, pp. 322-324.
8- François Bourque, « Les libéraux prônent une « révolution des régions », Le Journal de Québec, 29 mai 1901, p. 12.
9- Charles Côté, « Le rapport de nécessité entre la croissance démographique des collectivités et le développement de leur économie / Le cas des MRC du Fjord et Ville Saguenay », in Cahiers de développement régional, Saguenay, mars 2006, tableau 1.
10- Les Affaires, 5 novembre 2005, p. 7.
11- Institut Fraser, « Quebec Prosperity, Taking the Next Step », novembre 2003, 82 pages.
12- Denis Bouchard, « Landry règle ses comptes avec les oiseaux de malheur », Le Quotidien, 12 septembre 2000.
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dit :
Le 7 décembre 2006. Réf. POL126-06DEC-RBCRD-MTL
J'ai pris connaissance du texte (Les régions ressources VS Montréal...)
Au fil de mes lectures et de mes observations de l'évolution économique et sociale de nos régions, j'en suis arrivé à des conclusions qui vont encore plus loin que celle que vous relevez dans votre article.
Il y a déclin provoqué des régions au seul profit des grands centres comme Montréal... et NewYork... et Chicago, et...
Il ne faut pas oublier que la grande industrie rappatrie ses profits bien au dela de Montréal. Le profit a la facheuse tendance d'être investit dans les villes d'ou origine les actionnaires majoraites.
De notre point de vue régional l'effet de dérive nous indique la métropole. Montréal, n'est en fait, qu'un gros centre de transit financier, si ce n'était pas le cas, Montréal n'aurait jamais été dépassée par Toronto.
Le Québec a grand besoin d'un réveil massif des régions.
Je prone une prise de conscience collective des régionaux vers l'auto-détermination réflétée dans mon texte (Il est temps de quitter le bateau) publié dans le Quotidien du samedi 9 décembre 2006.
Les régions ont des actifs importants qu'ils ne savent pas gérer. Par exemple, La gestion locale de l'Hydro-électricité permettrait son utilisation locale pour l'exploitation d'autres ressouces.
Le plus bel exemple à suivre est celui de l'industrie de l'aluminium. On lui laisse gérer une partie de nos ressources à son profit. Cette industrie intégre intelligemment les moyens de production et génère des profits records. Ces profits sont ensuite exportés pour favoriser la création d'emplois ailleurs dans le monde ou la culture et la communauté d'intérêt est la plus près de celle des actionnaires majoritaires, et, c'est normal et humain qu'il en soit ainsi.
Supposons que l'Alcan soit la propriété d'actionnaires locaux majoritaires, il ne fait aucun doute qu'on aurait tout autour une foule d'autres usines de fabrication de deuxième et de troisième transformation. A ce titre, la région de Valcourt est un bel exemple d'intégration, sauf que, l'effet d'amplification des emplois est fortement diminué par l'influence Canadienne qui nous impose le partage des emplois avec d'autres régions canadiennes. La communauté d'intérêts anglosaxonne n'étant pas la même que la notre, l'influence inverse de dispersion des emploies en notre faveur ne se fait pas. L'industrie de l'automobile en est un bel exemple, seul un Québec souverain aurait le pouvoir d'imposer la création des emplois qui lui sont dus dans ce domaine par exemple.
Ce principe d'évolution naturel est expliqué dans mon texte (vivre libre ou disparaitre) sur mon site saglacweb.com et repris par beaucoup d’autres revus sur le WEB.
Pour en arriver là comme société, il nous faudra une prise de conscience collective de notre histoire et une réforme réelle de notre système d'enseignement afin de créer un vouloir collectif de vivre ensemble vers des objectifs communs.
Le Canada sait très bien cela, c'est pourquoi, il favorise, pour toute autre communauté que l'anglosaxonne, la primauté du droit individuel sur le droit collectif. Le Québec est directement visé dans cette vision anti-démocratique et on n’est pas assez ouvert d'esprit pour s'en rendre compte!
En fait tout se tient...
Vos commentaires seraient appréciés, écrivez-moi à saglac@gmail.com
À bientôt.
Jean-Pierre Plourde,
saglacweb.com
Courriel: saglac@gmail.com
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