samedi, octobre 07, 2006

Montréal et « ses » colonies périphériques, une vieille plaie qui est en train de se gangrener

Avant-propos : Cette chronique éditoriale est la première partie de la conférence que j'ai présentée, vendredi matin, 6 octobre 2006, à 10h. 45, devant les membres de l'Ordre des Évaluateurs Agréés du Québec, qui tenaient leur congrès national, à l'hôtel Le Montagnais de Chicoutimi (Saguenay). Le sujet de la conférence, « Le Saguenay–Lac-Saint-Jean, une région à monopoles ». Ce texte est la première partie de quatre que j'ai l'intention de vous livrer dans ce journal en tant qu'historien et citoyen d'une région, le Saguenay, qui n'en finit plus de mourir à cause des politiques dévastatrices administrées par tous les gouvernement de la province depuis 1970, date du dépot du fameux « Rapport HMR », titré comme suit : « B. Higgins, F. Martin & A. Raynauld, « Les orientations du développement économique régional dans la province de Québec », Rapport soumis au ministère de l'Expansion économique régionale, Ottawa, 1970.

Les quatre autres textes à venir sont :
2- Le monopole de l'électricité s'ajoute au monopole du bois (1896-1963)
3- Les régions ressources au service de Montréal : le rapport HMR (1970-2006)
4-Le cas de l'effondrement de l'industrie forestière, en 2006
5- Conclusion : Un effondrement prévisible ; l'esclavage au royaume du Saguenay


Montréal et « ses » colonies périphériques,
une vieille plaie qui est en train de se gangrener


Vous entendez souvent, et de plus en plus, parler de la colère montante des régions ressources à l'endroit de Montréal. Les exemples ne manquent pas. La semaine dernière, 24 septembre, à Télé-Québec (à l'émission « Il va y avoir du sport »), Marie-France Bazeau animait un débat qui posait la question : « Faut-il fermer les régions ? », ce qui, encore une fois a soulevé l'ire des régionaux qui n'en reviennent toujours pas de ce mépris pratiqué par Montréal à leur endroit. Au cours de cette émission d'information spectacle, un invité et pas des moindres, Gérard Beaudet, professeur d'urbanisme et intello de service rattaché à l'Université de Montréal, a fait le délice de l'assistance —montréalaise— en soutenant que la nationalisation de l'électricité, début 1963, « fut un cadeau du ciel pour les régionaux » et que « ce n'est pas le rôle de l'État de sauver les régions »(1) (sic !).

Autre exemple tout à fait récent et non moins étonnant, arrivé dans les suites de l'effondrement du viaduc de Laval, samedi 30 septembre. Frénétiques comme toujours et rapides pour sauter aux conclusions oiseuses, des journalistes de Montréal se sont employés à reprocher au premier ministre Charest d'investir dans des routes comme la 175 et celle de la Basse-Côte-Nord, plutôt que de consacrer cet argent au réseau montréalais ? Le premier ministre a répondu, à son corps défendant, que les sommes allouées avaient doublé pour les nouveaux projets depuis son arrivée à la tête de l'État québécois, de même que pour l'entretien du réseau. Et une journaliste —de Montréal !— de dire qu'il y aurait peut-être lieu de revoir la manière de répartir l'argent !!! Dans les jours qui ont suivi cet effroyable drame, cette sorte de discours antirégionalistes n'a eu de cesse de se répandre sur les ondes montréalaises qui enterrent, de tout leur poids et de toute leur arrogance celles du Québec profond. De Montréal à Kujuak, veux veux pas, on vit à l'heure de Montréal... de Montréal et de ses « colonies périphériques » qui n'ont pas le choix de s'intéresser à ses petits problèmes domestiques.

Personnalité régionale présente au Congrès de la FQM (Fédération québécoise des Municipalités) tenue la semaine dernière dans la Capitale, le président de la FQM, M. Bernard Généreux, maire de Saint-Prime qui se fait plutôt la voix des MRC excentriques, n'y est pas allé avec le dos de la cuillère en rappelant à son interlocutrice, la ministre des Affaires municipales du Québec, Mme Nathalie Normandeau, l'état lamentable dans lequel se trouve les régions ressources du Québec : « On est en mode angoisse. Quand les gens voient les pancartes à vendre dans les villages, ils se disent : il se passe quelque chose »(2).

Confronté à l'effondrement de notre économie et déplorant le laxisme du gouvernement Charest à l'endroit des régions en déclin, M. Généreux, dont la sympathie à l'égard des péquistes est bien connue, exige aujourd'hui une décentralisation des pouvoirs au profit des régions agonisantes (286 000 de population en 1996, 274 000 en 2006 (3) ). Depuis « la grand'messe » du Forum des générations à l'automne 2004, rechigne-t-il, le dossier de la décentralisation « n'a à peu près pas avancé ». L'heure est grave ! « Il y a urgence » de remettre aux régions, plus précisément aux Municipalités régionales de comté (MRC), les responsabilités et les leviers financiers qui s'y rattachent pour assurer leur avenir. Ce ne sont pas des programmes nationaux « mur à mur », dit-il encore, qui permettront aux régions de retrouver une vitalité nouvelle, mais bien leur capacité d'agir par elles-mêmes sur leur développement. Au nom de la FQM, M. Généreux exige, rien de moins, que le gouvernement cède aux MRC des pouvoirs accrus en regard de l'exploitation des ressources naturelles, de l'aménagement du territoire, de la gestion du réseau routier régional, du transport collectif, des équipements scolaires, des tribunaux municipaux, du développement économique et des équipements touristiques, de loisir et de culture.(4)

Est-ce que cette situation déplorable et fort inquiétante est structurelle ou conjoncturelle ? Est-elle le fruit d'une mauvaise politique récente qui, comme semble l'indiquer M. Généreux, serait imputable au dernier gouvernement libéral de Jean Charest, en poste depuis à peine deux ans ? Où est-ce là le fruit d'une aliénation historique qui est en train de connaître son dénouement ? M. Généreux, qui accorde son appui inconditionnel au coup de tocsin sonné par Lucien Bouchard l'automne dernier (sonné pour tromper l'histoire après avoir trompé le peuple), à la tête du groupe des nouveaux « Lucides » du Québec M. Généreux est-il pessimiste ou réaliste ?

Comment se fait-il que nous en soyons rendus là ? D'où cela vient-il ? S'agit-il d'un vieux problème en latence ou d'une nouveauté issue de la mondialisation et de la résurgence du néolibéralisme ?

La suite, très prochainement...

Russel Bouchard

Notes :
(1) Bertrand Tremblay, « Télé-Québec aime provoquer les régions », Le Quotidien, 2 octobre 2006, p. 11. Denis Trottier, « Montréal ne peut survivre sans l'apport des régions », Le Quotidien, 2 octobre 2006, p. 12.
(2) Annie Fernandez, « ''On est en mode angoisse'' - Bernard Généreux », Journal de Québec, 29 sept. 2006, p. 10.
(3) Statistique Canada.
Le Saguenay, selon le Ministère des Affaires Municipales et des Régions, compte, pour sa part, 146 332 personnes en 2006. Selon Statistique Canada, ce profil diffère légèrement : selon le territoire géographique de la Région Métropolitaine de Recensement de Saguenay (RMR) incluant les municipalités de Larouche, St-Honoré et St-Fulgence, le Saguenay en comptait 153 000 en 2005.
(4) Martin Ouellet, « Selon Bernard Généreux les régions se sentent « abandonnées », Le Quotidien, 27 sept. 2006.