Clôture des Fêtes du 175e du Saguenay–Lac-Saint-Jean – Chicoutimi, la grande oubliée de l'histoire
Le site du Bassin, où a été fondée Chicoutimi, en 1671. Illustration tirée de la chronique de Russel Bouchard, « Le cimetière des « Sauvages », la mission et le poste de traite de Chicoutimi », in Chroniques d'histoire du Saguenay–Lac-Saint-Jean, vol. 2, Chicoutimi, 2012.
Des Fêtes sous le signe de la controverse
Tombée
de rideau sur la grande scène des Fêtes du 175e anniversaire du
Saguenay–Lac-Saint-Jean, à l'aréna municipal de Dolbeau-Mistassini, samedi 21
décembre 2013. Pour Line Gagnon, directrice générale des Fêtes , « mission accomplie ». Dans sa
revue, les épithètes ne manquent pas ! «
On a livré la marchandise » comme on l'avait programmée clame-t-elle. « On a fait des prouesses », et tant pis
pour les critiqueux qui « lançaient des
choses gratuitement ». Selon elle, s'ils ont vu les choses du mauvais oeil,
c'est la faute de certains médias qui les ont présentées trop « sévèrement »(1). La Madame est ben contente de sa
performance ! Autosatisfaite faudrait-il dire !
Pour
le journaliste Daniel Côté, qui a cependant suivi toutes les péripéties de la
mère de toutes les fêtes, du début à la fin. Pour cet observateur aguerri qui
n'en a pas manqué une, le premier bilan est beaucoup moins reluisant que celui
des promoteurs en titre. Pour ce dernier, avantageusement reconnu pour la
finesse et la sobriété de ses commentaires en matière culturelle, l'angle du
balcon où il a observé les événements ne lui offre pas tout à fait le même
point de vue : « Il y a eu », dit-il,
« la déception des autorités religieuses,
le courroux des maires de Dolbeau-Mistassini et la saga entourant le spectacle
présenté le 17 août, de Chicoutimi ». « Une controverse chassait l'autre »,
écrit-il encore dans sa revue de l'année, et « la liste ne serait pas complète sans les griefs formulés par
l'historienne Russel-Aurore Bouchard, tenue à l'écart pour des raisons qui
resteront éternellement nébuleuses »(2).
Chicoutimi, la cité perdue
Je
réservais ma propre critique des « Fêtes » après le dépôt du bilan officiel
prévu au printemps prochain. Mais comme le bilan de Madame la présidente me semble déjà écrit dans ses grandes
lignes et qu'on m'interpelle précisément dans cette revue, je prends la balle
au vol. En ce qui me concerne, j'aurai peut-être un début de réponse à cet « écart » remarqué, si j'évoque le nom
de « CHICOUTIMI », un passage historique incontournable que je n'aurais
évidemment pas laissé sombrer dans cet exercice d'oublis consentis. De toute
évidence, les maîtres du jeu savaient que je n'aurais pas accepté de cautionner
un tel accroc à l'histoire, et je crois percevoir par là un motif de ma mise à
l'écart. D'ailleurs, il aura fallu un historien de renom engagé à l'extérieur
de notre région et totalement étranger à notre histoire intime (et je salue en
cela mon collègue Jacques Lacoursière(3)), pour
rappeler à tous que le nom de Chicoutimi manquait dramatiquement dans la liste
des invités et que ce vide parlait de lui-même.
Chicoutimi,
la localité maudite, la citée perdue devenue, dans cet exercice de réécriture
de l'histoire, un vulgaire « arrondissement
» de Saguenay. Chicoutimi, la ville anathème dont il ne fallait surtout pas
nommer le nom au cours de ces 365 jours de réminiscences sélectives. Quand on
veut remodeler la mémoire collective au profit des politiques qui tirent les
ficèles derrière le rideau. Quand on s’applique depuis tant d’années à faire
oublier la présence d’un lieu d’une telle dimension, rien de mieux qu'un bon
175e qui prend prétexte d'une fondation qui n'en est pas une, pour
tricher sur le pendule du temps et remettre le compteur de notre histoire à
zéro.
Quand la politique décide de réécrire l'histoire
Il
ne m’appartient pas de parler au nom de ceux et celles qui ont exprimé leur
mécontentement au fil des événements. Mais pour ceux et celles qui, comme moi à
Chicoutimi, se sont senti atrocement oubliés au cours de cette lancinante année
2013. Pour cette histoire régionale carrément amnésiée de son premier chapitre,
je me permets de vous rappeler qu'avant 1838, avant qu'une première équipée de
bûcherons débarque à la Grande-Baie, Chicoutimi vivait déjà son 167e
anniversaire de naissance. C'est par là que les premiers occupants de ce pays
ont passé pour faire un peuple, par là que les explorateurs ont défilé pour en
découper les frontières, précisément là que les premiers occupants d’une
humanité naissante ont établi leurs quartiers et leur église, qu’ils ont pris
femmes et donné un sens à notre destinée commune...
Quand
on accepte la lourde tâche de fêter la présence d’un peuple, de faire un temps
d’arrêt sur son histoire et de vanter les noms des plus méritants qui ont parié
sur son avenir. Bref, quand on se veut rassembleur, on s’assure d’abord qu’il
n’y aura pas de laissé-pour-compte, que tous seront de la fête et que chacun
sera copieusement servi à la grande table du banquet.
Dans
une commémoration de cette nature, qu'on ait passé sous silence certains faits grandioses
qui ont contribué à faire de nous tous ce que nous sommes aujourd'hui. Qu'on
ait éradiqué de la liste des grands faits de notre histoire la place
prépondérante de CHICOUTIMI, la doyenne, et tout ce que nous lui devons
collectivement, ne peut être totalement innocent. Et quand cela arrive, c’est
que la raison politique a dominé sur la raison de l’Histoire. Je le relève, le
déplore, le dénonce et m'inscris en faux contre ce qui m’apparaît être un
malheureux exercice de réécriture de l’histoire, un exercice désolant qui nous
rapetisse collectivement au lieu de nous élever aux yeux des autres et de
nous-mêmes…
Akakia
1 Stéphane
Bégin, « Fêtes du 175e, Line Gagnon trace un bilan positif », in Le Quotidien, 23 décembre 2013.
2 Daniel
Côté, « Une drôle d’année », in Le
Quotidien, 23 décembre 2013.
3 Stéphane
Bégin, « Le nom de Chicoutimi n’aurait pas dû disparaître (Jacques Lacoursière)
», in Le Quotidien, 11 novembre 2013.
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