mercredi, décembre 25, 2013

Clôture des Fêtes du 175e du Saguenay–Lac-Saint-Jean – Chicoutimi, la grande oubliée de l'histoire



Le site du Bassin, où a été fondée Chicoutimi, en 1671.
Illustration tirée de la chronique de Russel Bouchard, « Le cimetière des « Sauvages », la mission et le poste de traite de Chicoutimi », in Chroniques d'histoire du Saguenay–Lac-Saint-Jean, vol. 2, Chicoutimi, 2012.

Des Fêtes sous le signe de la controverse
Tombée de rideau sur la grande scène des Fêtes du 175e anniversaire du Saguenay–Lac-Saint-Jean, à l'aréna municipal de Dolbeau-Mistassini, samedi 21 décembre 2013. Pour Line Gagnon, directrice générale des Fêtes , « mission accomplie ». Dans sa revue, les épithètes ne manquent pas ! « On a livré la marchandise » comme on l'avait programmée clame-t-elle. « On a fait des prouesses », et tant pis pour les critiqueux qui « lançaient des choses gratuitement ». Selon elle, s'ils ont vu les choses du mauvais oeil, c'est la faute de certains médias qui les ont présentées trop « sévèrement »(1). La Madame est ben contente de sa performance ! Autosatisfaite faudrait-il dire !
Pour le journaliste Daniel Côté, qui a cependant suivi toutes les péripéties de la mère de toutes les fêtes, du début à la fin. Pour cet observateur aguerri qui n'en a pas manqué une, le premier bilan est beaucoup moins reluisant que celui des promoteurs en titre. Pour ce dernier, avantageusement reconnu pour la finesse et la sobriété de ses commentaires en matière culturelle, l'angle du balcon où il a observé les événements ne lui offre pas tout à fait le même point de vue : « Il y a eu », dit-il, « la déception des autorités religieuses, le courroux des maires de Dolbeau-Mistassini et la saga entourant le spectacle présenté le 17 août, de Chicoutimi ». « Une controverse chassait l'autre », écrit-il encore dans sa revue de l'année, et « la liste ne serait pas complète sans les griefs formulés par l'historienne Russel-Aurore Bouchard, tenue à l'écart pour des raisons qui resteront éternellement nébuleuses »(2).

Chicoutimi, la cité perdue
Je réservais ma propre critique des « Fêtes » après le dépôt du bilan officiel prévu au printemps prochain. Mais comme le bilan de Madame la présidente  me semble déjà écrit dans ses grandes lignes et qu'on m'interpelle précisément dans cette revue, je prends la balle au vol. En ce qui me concerne, j'aurai peut-être un début de réponse à cet « écart » remarqué, si j'évoque le nom de « CHICOUTIMI », un passage historique incontournable que je n'aurais évidemment pas laissé sombrer dans cet exercice d'oublis consentis. De toute évidence, les maîtres du jeu savaient que je n'aurais pas accepté de cautionner un tel accroc à l'histoire, et je crois percevoir par là un motif de ma mise à l'écart. D'ailleurs, il aura fallu un historien de renom engagé à l'extérieur de notre région et totalement étranger à notre histoire intime (et je salue en cela mon collègue Jacques Lacoursière(3)), pour rappeler à tous que le nom de Chicoutimi manquait dramatiquement dans la liste des invités et que ce vide parlait de lui-même.
Chicoutimi, la localité maudite, la citée perdue devenue, dans cet exercice de réécriture de l'histoire, un vulgaire « arrondissement » de Saguenay. Chicoutimi, la ville anathème dont il ne fallait surtout pas nommer le nom au cours de ces 365 jours de réminiscences sélectives. Quand on veut remodeler la mémoire collective au profit des politiques qui tirent les ficèles derrière le rideau. Quand on s’applique depuis tant d’années à faire oublier la présence d’un lieu d’une telle dimension, rien de mieux qu'un bon 175e qui prend prétexte d'une fondation qui n'en est pas une, pour tricher sur le pendule du temps et remettre le compteur de notre histoire à zéro.

Quand la politique décide de réécrire l'histoire
Il ne m’appartient pas de parler au nom de ceux et celles qui ont exprimé leur mécontentement au fil des événements. Mais pour ceux et celles qui, comme moi à Chicoutimi, se sont senti atrocement oubliés au cours de cette lancinante année 2013. Pour cette histoire régionale carrément amnésiée de son premier chapitre, je me permets de vous rappeler qu'avant 1838, avant qu'une première équipée de bûcherons débarque à la Grande-Baie, Chicoutimi vivait déjà son 167e anniversaire de naissance. C'est par là que les premiers occupants de ce pays ont passé pour faire un peuple, par là que les explorateurs ont défilé pour en découper les frontières, précisément là que les premiers occupants d’une humanité naissante ont établi leurs quartiers et leur église, qu’ils ont pris femmes et donné un sens à notre destinée commune...
Quand on accepte la lourde tâche de fêter la présence d’un peuple, de faire un temps d’arrêt sur son histoire et de vanter les noms des plus méritants qui ont parié sur son avenir. Bref, quand on se veut rassembleur, on s’assure d’abord qu’il n’y aura pas de laissé-pour-compte, que tous seront de la fête et que chacun sera copieusement servi à la grande table du banquet.
Dans une commémoration de cette nature, qu'on ait passé sous silence certains faits grandioses qui ont contribué à faire de nous tous ce que nous sommes aujourd'hui. Qu'on ait éradiqué de la liste des grands faits de notre histoire la place prépondérante de CHICOUTIMI, la doyenne, et tout ce que nous lui devons collectivement, ne peut être totalement innocent. Et quand cela arrive, c’est que la raison politique a dominé sur la raison de l’Histoire. Je le relève, le déplore, le dénonce et m'inscris en faux contre ce qui m’apparaît être un malheureux exercice de réécriture de l’histoire, un exercice désolant qui nous rapetisse collectivement au lieu de nous élever aux yeux des autres et de nous-mêmes…
Akakia



1    Stéphane Bégin, « Fêtes du 175e, Line Gagnon trace un bilan positif », in Le Quotidien, 23 décembre 2013.
2    Daniel Côté, « Une drôle d’année », in Le Quotidien, 23 décembre 2013.
3    Stéphane Bégin, « Le nom de Chicoutimi n’aurait pas dû disparaître (Jacques Lacoursière) », in Le Quotidien, 11 novembre 2013.