Boulevard Chicoutimi (comme dans Chicoutimi—Québec !)
Photo, courtoisie Jeannot Lévesque, maître photographe, Chicoutimi
Réponse à Monsieur Sylvain Perron, ex-citoyen de l’ex-ville fusionnée de Kénogami, qui accepte avec détachement d’avoir abandonné son nom d’origine dans celui de Saguenay. Sa lettre ouverte ne se prive pas de nous le faire savoir ; cet homme est manifestement fier de sa ville jumelée et rejette péremptoirement l’idée de nommer la nouvelle route traversant la réserve faunique des Laurentides du nom de… « Route Chicoutimi ». Va pour le sermon saguenéphile ! Va pour le « secteur Kénogami » noyé dans celui de Ville Saguenay. Cela lui appartient en propre. Vu sous cet angle, c’est une option qui se défend. Mais pour le reste, pour le sentiment d’appartenance, pour la réalité historique toute nue, et pour le sens de la mesure on repassera à l’heure des matines !
Car soutenir cette sorte de discours, c’est tout simplement raboter des pans entiers de notre histoire commune. C’est oublier vitement que le nom de l’ex-ville de Kénogami est une uchronie, qu’il identifiait initialement la municipalité de Larouche qui a accepté de le vendre en 1911 à Sir William Price (pour 200$) désireux de l’attribuer à la ville-usine qu’il était en train d’ériger le long de la rivière aux Sables. C’est oublier également que Jonquière a reçu son nom bien tardivement, en 1847, Laterrière en 1843, Shipshaw vers 1828, Rivière-du-Moulin vers 1750, et Chicoutimi… officiellement en 1661.
Cette année 2011 marque le dixième anniversaire de Ville Saguenay. Ceux qui n’apprécient pas le résultat, n’y peuvent plus rien. Faire contre mauvaise fortune bon cœur, dit l’adage, et c’est ce que nous faisons tous. Mais il n’empêche que chacun y a laissé quelque chose qui ne va pas sans une part de soi pour bien dire : les plus petites localités fusionnées y ont gagné au change ; les moyennes y ont gagné au double ; et la doyenne chicoutimienne, qui faisait pourtant très bien son affaire toute seule, a été, pour sa part, sommée de s’écraser devant le rouleau compresseur de cette anomalie urbaine qui embrasse la moitié de la région et qui a entrepris d’éradiquer son nom de la surface de la Terre.
La semaine dernière, la ville de Saguenay a annoncé que le château d’eau du parc industriel de Chicoutimi (le plus propre des trois soit dit en passant !) allait être repeint au coût de 135 000$... « pour faire disparaître le nom de Chicoutimi » (je souligne). C’est écrit en toutes lettres dans le Progrès-Dimanche, du 30 octobre. Mais qu’est-ce que les Chicoutimiens ont bien pu faire à cette ville fusionnée pour vivre un tel déchirement, un tel mépris, un tel rejet et une telle fin de non-recevoir ? C’est à n’y rien comprendre ! À qui peut bien profiter le fait d’éradiquer toutes références à ce toponyme qui chante bien notre histoire, qui illustre positivement la mémoire de tous et qui évoque trois siècles d’un passé héroïque ?
Pour remettre les choses en perspective, j’aimerais rappeler respectueusement à ce Monsieur Perron, du « secteur-Kénogami », que les Chicoutimiens n’ont pas acheté leur nom ! Ils l’ont reçu, comme tous les Saguenéens et les Jeannois, en héritage. Un héritage qui nous vient de la préhistoire et qui marque une riche épopée s’étirant sur plus de trois siècles. Sachant cela et me reconnaissant dans cette mélodie sauvageonne venue du fin fond des âges, je me dis qu’à défaut d’avoir perdu le sens de notre histoire dans celui de Ville Saguenay, ne serait-il pas plus judicieux et plus profitable —à tous— de faire front commun pour demander à l’État québécois de donner, à la nouvelle autoroute liant la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean au reste du monde, le nom de « Route Chicoutimi ». Ce ne serait là qu’un juste retour des choses puisque c’est ce point de passage qui reliait, jadis, le Saint-Laurent au Piekouagami. Et ce serait donner à l’histoire qui devrait nous unir au lieu de nous désunir, les dix lettres de noblesses qu’un gouvernement national bien mal inspiré lui a dérobées…
Akakia
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