Requiem pour les villes fusionnées du Haut-Saguenay
Le Bassin et l'embouchure de la rivière Chicoutimi, vers 1960. C'est là, sur la rive ouest du plan d'eau aujourd'hui partiellement remblayé, que se sont écrites les premières lignes de l'histoire du Saguenay
La mort de l’Ours !
« Que reste-t-il de l'identité jonquiéroise ? », demande le journaliste Daniel Côté, dans un texte publié dans le Progrès-Dimanche du 22 août, où il déplore, à juste titre, la perte de la mémoire de sa ville natale qui a été absorbée dans la funeste dérive des fusions municipales forcées par le gouvernement péquiste de Lucien Bouchard ? « Les meubles ont été sauvés », conclut Côté en se consolant sur les quelque malheureuses institutions culturelles qui ont miraculeusement survécu au naufrage. Certes, il reste toujours quelques bâtiments très insignifiants et un simulacre d’institutions culturelles pour masquer les pourtours du cratère que cela crée dans notre univers collectif, mais il n’empêche que l’essentiel, pour reprendre les mots cruellement vrais du journaliste, « l’identité jonquiéroise », a été « perdu à jamais ». En effet ! la vieille ville est « devenue un quartier au sein d’un arrondissement ; [elle] n’existe plus que dans la mémoire d’une poignée de nostalgiques » et n’est déjà plus « qu’une vue de l’esprit ».
Que dire de plus sinon de rappeler que ce résultat pathétique était, encore une fois, prévisible parce que programmé pour nous réduire à rien dans le projet national. Parce que cet élément du grand projet de lobotomisation du Québec de souche a été annoncé et vertement dénoncé par quelques esprits contrariés et inquiets, des esprits plus libres que d’autres qui ont tenté vainement de sonner le tocsin. Aujourd’hui, le texte de Côté en fait foi, l’Histoire dépose les premiers termes de son jugement et de sa condamnation par contumace : –Ci-gît une partie du peuple fondateur, Métis et Canadien-français, mort sans laisser de traces pour le profit des maîtres apatrides, de leurs valets de pied et de ceux qui en profitent.
Bien fait pour nous ! Fallait s’impliquer, contester, colérer contre ceux qui voulaient notre mort, s’objecter au projet de ceux qui voulaient nous faire la peau parce qu’ils l’avaient déjà vendue à des étranger. Cessons de pleurer sur notre mauvais sort, une part de cette catastrophe nous est collectivement redevable.
Chicoutimi, la ville-fantôme cannibalisée par ses sœurs ennemies !
Ces mots de Côté sont, pour ma part, d'une cruelle pertinence. Ils parlent pour toutes les autres villes bêtement sacrifiées dans cette déplorable aventure. Justement, en 1980, voyant venir ces fusions forcées, j'avais commencé à écrire l'histoire des Municipalités. Avec les histoires de Chicoutimi-Nord, de L'Anse-Saint-Jean et de Val-Jalbert, je voyais déjà tout le danger que ce précipice de l'insignifiance politicienne était en train de creuser à la faveur d'une totale insouciance citoyenne. Je savais que cela était pour arriver dans un avenir trop prochain, et je me disais qu'il fallait prendre des clichés de sauvetage, beaucoup de clichés et le plus rapidement possible de ces mémoires encore vivantes avant qu'elles ne trépassent sous la houlette d'un régime politique péquiste complètement déconnecté de notre réalité régionale et sans compréhension de ce qu'est un lieu de vie, une communauté humaine en marche, une mémoire identitaire, un pays en devenir.
Moi, qui étais alors aux premières loges de cette histoire qui se déroulait dans le sillon de ma plume, je me souviens des nombreuses mises en garde que j'ai faites, partout où cela était possible, pour que cela n'arrive pas.
De Jonquière, de La Baie, de Shipshaw, de Lac-Kénogami, de Canton-Tremblay, de Chicoutimi-Nord et... de Chicoutimi, il reste, en effet bien peu dix ans après cet effondrement sociétal qui a réduit la ville-mère de Chicoutimi, la grande sacrifiée de cette histoire, à l'anémie économique et culturelle et à la vindicte de ses voisines qui la méprisent imbécilement et qui lui doivent pourtant une bonne part des avantages qu'elles ont acquis depuis la funeste fusion du 18 février 2002. Si Jonquière, qui n'est pas partie sans dote, a de quoi se plaindre côté mémoire, que faut-il alors penser de Chicoutimi, qui est devenue le parent pauvre de cet amalgame empoisonné, la grande perdante de ce mariage forcé ?! Il me reste encore la fierté d'avoir écrit, quand les temps étaient requis, ce qui devait être écrit pour que nos enfants les aient à la mémoire ; pour que notre descendance ne soit pas soumise à la seule mémoire des arrivants qui ont commencé à prendre la place dans le précipice identitaire que notre paresse intellectuelle, notre individualité crasse et notre laisser-faire ont fini par creuser.
Saguenay, la ville figée dans un bloc de gélatine !
Cela étant, il reste, fort heureusement, mes livres et l'authenticité que j'y ai mise, sans penser à mes propres lendemains. Depuis que tous ces mots ont été écrits et dans la lueur de l‘encrier qui ne s’est pas encore tari, mon rejet de la médiocrité humaine n'a pas faibli d'un poil. À voir la léthargie dans laquelle se sont enlisés les esprits de cette communauté, j'ai l'impression de vivre dans un immense bol de gélatine qui se fiche de savoir si elle va prendre ou fondre.
Comment ne pas récriminer la mollesse de ce conseil de ville soumis au diktat d’un seul, le caractère faiblard de ces élus, hommes et femmes, qui ont ni le courage ni la pertinence de défendre notre honneur perdu, notre dignité et notre droit d’aînesse comme berceau de l’histoire du Saguenay ?! Bien que la lassitude de parler dans le vide a fini par me surprendre, comment ne pas déplorer, encore une fois, l’effet sclérosant des politiques de carrière qui ont pris racines dans nos hôtels de ville et qui n’ont pas compris qu’après quatre, cinq ou six mandats leur temps est passé et qu’ils doivent céder la place à d’autres en leur souhaitant meilleure chance.
Comme il est des espèces animales qui ont ni le caractère ni la volonté de réagir à des changements profonds, comme les dinosaures qui se sont éteints sans que nul ne s'en émeuve, notre peuple amnésique est en train de mourir avant d'avoir fini sa puberté, avant d’avoir pu voir courir ses enfants dans les champs de blé qu’il a planté. C'est un malheur de le savoir et de le vivre, et c'est mourir une seconde fois d'en être réduit à le rappeler...
Akakia
LA CRYPTE
— J’habite un lac, naguère fontaine,
devenu bassin, courroie de centrales et urinoir;
— J’habite un fjord, naguère jardin,
devenu désert, terre lacérée et nid de vipères;
— J’habite une forêt, naguère poumon,
devenue papier, circulaire et réclame;
— J’habite une maison, naguère joyeuse,
devenue vilaine, morne et peureuse;
— J’habite une histoire, naguère féconde,
devenue honteuse, terne et flétrie;
— J’habite un pays, naguère cathédrale,
devenu usine, banque et prison.
Russel Bouchard
1999
La mort de l’Ours !
« Que reste-t-il de l'identité jonquiéroise ? », demande le journaliste Daniel Côté, dans un texte publié dans le Progrès-Dimanche du 22 août, où il déplore, à juste titre, la perte de la mémoire de sa ville natale qui a été absorbée dans la funeste dérive des fusions municipales forcées par le gouvernement péquiste de Lucien Bouchard ? « Les meubles ont été sauvés », conclut Côté en se consolant sur les quelque malheureuses institutions culturelles qui ont miraculeusement survécu au naufrage. Certes, il reste toujours quelques bâtiments très insignifiants et un simulacre d’institutions culturelles pour masquer les pourtours du cratère que cela crée dans notre univers collectif, mais il n’empêche que l’essentiel, pour reprendre les mots cruellement vrais du journaliste, « l’identité jonquiéroise », a été « perdu à jamais ». En effet ! la vieille ville est « devenue un quartier au sein d’un arrondissement ; [elle] n’existe plus que dans la mémoire d’une poignée de nostalgiques » et n’est déjà plus « qu’une vue de l’esprit ».
Que dire de plus sinon de rappeler que ce résultat pathétique était, encore une fois, prévisible parce que programmé pour nous réduire à rien dans le projet national. Parce que cet élément du grand projet de lobotomisation du Québec de souche a été annoncé et vertement dénoncé par quelques esprits contrariés et inquiets, des esprits plus libres que d’autres qui ont tenté vainement de sonner le tocsin. Aujourd’hui, le texte de Côté en fait foi, l’Histoire dépose les premiers termes de son jugement et de sa condamnation par contumace : –Ci-gît une partie du peuple fondateur, Métis et Canadien-français, mort sans laisser de traces pour le profit des maîtres apatrides, de leurs valets de pied et de ceux qui en profitent.
Bien fait pour nous ! Fallait s’impliquer, contester, colérer contre ceux qui voulaient notre mort, s’objecter au projet de ceux qui voulaient nous faire la peau parce qu’ils l’avaient déjà vendue à des étranger. Cessons de pleurer sur notre mauvais sort, une part de cette catastrophe nous est collectivement redevable.
Chicoutimi, la ville-fantôme cannibalisée par ses sœurs ennemies !
Ces mots de Côté sont, pour ma part, d'une cruelle pertinence. Ils parlent pour toutes les autres villes bêtement sacrifiées dans cette déplorable aventure. Justement, en 1980, voyant venir ces fusions forcées, j'avais commencé à écrire l'histoire des Municipalités. Avec les histoires de Chicoutimi-Nord, de L'Anse-Saint-Jean et de Val-Jalbert, je voyais déjà tout le danger que ce précipice de l'insignifiance politicienne était en train de creuser à la faveur d'une totale insouciance citoyenne. Je savais que cela était pour arriver dans un avenir trop prochain, et je me disais qu'il fallait prendre des clichés de sauvetage, beaucoup de clichés et le plus rapidement possible de ces mémoires encore vivantes avant qu'elles ne trépassent sous la houlette d'un régime politique péquiste complètement déconnecté de notre réalité régionale et sans compréhension de ce qu'est un lieu de vie, une communauté humaine en marche, une mémoire identitaire, un pays en devenir.
Moi, qui étais alors aux premières loges de cette histoire qui se déroulait dans le sillon de ma plume, je me souviens des nombreuses mises en garde que j'ai faites, partout où cela était possible, pour que cela n'arrive pas.
De Jonquière, de La Baie, de Shipshaw, de Lac-Kénogami, de Canton-Tremblay, de Chicoutimi-Nord et... de Chicoutimi, il reste, en effet bien peu dix ans après cet effondrement sociétal qui a réduit la ville-mère de Chicoutimi, la grande sacrifiée de cette histoire, à l'anémie économique et culturelle et à la vindicte de ses voisines qui la méprisent imbécilement et qui lui doivent pourtant une bonne part des avantages qu'elles ont acquis depuis la funeste fusion du 18 février 2002. Si Jonquière, qui n'est pas partie sans dote, a de quoi se plaindre côté mémoire, que faut-il alors penser de Chicoutimi, qui est devenue le parent pauvre de cet amalgame empoisonné, la grande perdante de ce mariage forcé ?! Il me reste encore la fierté d'avoir écrit, quand les temps étaient requis, ce qui devait être écrit pour que nos enfants les aient à la mémoire ; pour que notre descendance ne soit pas soumise à la seule mémoire des arrivants qui ont commencé à prendre la place dans le précipice identitaire que notre paresse intellectuelle, notre individualité crasse et notre laisser-faire ont fini par creuser.
Saguenay, la ville figée dans un bloc de gélatine !
Cela étant, il reste, fort heureusement, mes livres et l'authenticité que j'y ai mise, sans penser à mes propres lendemains. Depuis que tous ces mots ont été écrits et dans la lueur de l‘encrier qui ne s’est pas encore tari, mon rejet de la médiocrité humaine n'a pas faibli d'un poil. À voir la léthargie dans laquelle se sont enlisés les esprits de cette communauté, j'ai l'impression de vivre dans un immense bol de gélatine qui se fiche de savoir si elle va prendre ou fondre.
Comment ne pas récriminer la mollesse de ce conseil de ville soumis au diktat d’un seul, le caractère faiblard de ces élus, hommes et femmes, qui ont ni le courage ni la pertinence de défendre notre honneur perdu, notre dignité et notre droit d’aînesse comme berceau de l’histoire du Saguenay ?! Bien que la lassitude de parler dans le vide a fini par me surprendre, comment ne pas déplorer, encore une fois, l’effet sclérosant des politiques de carrière qui ont pris racines dans nos hôtels de ville et qui n’ont pas compris qu’après quatre, cinq ou six mandats leur temps est passé et qu’ils doivent céder la place à d’autres en leur souhaitant meilleure chance.
Comme il est des espèces animales qui ont ni le caractère ni la volonté de réagir à des changements profonds, comme les dinosaures qui se sont éteints sans que nul ne s'en émeuve, notre peuple amnésique est en train de mourir avant d'avoir fini sa puberté, avant d’avoir pu voir courir ses enfants dans les champs de blé qu’il a planté. C'est un malheur de le savoir et de le vivre, et c'est mourir une seconde fois d'en être réduit à le rappeler...
Akakia
LA CRYPTE
— J’habite un lac, naguère fontaine,
devenu bassin, courroie de centrales et urinoir;
— J’habite un fjord, naguère jardin,
devenu désert, terre lacérée et nid de vipères;
— J’habite une forêt, naguère poumon,
devenue papier, circulaire et réclame;
— J’habite une maison, naguère joyeuse,
devenue vilaine, morne et peureuse;
— J’habite une histoire, naguère féconde,
devenue honteuse, terne et flétrie;
— J’habite un pays, naguère cathédrale,
devenu usine, banque et prison.
Russel Bouchard
1999
3 Comments:
dit :
C'est un désastre à tout point de vue. L'âme du peuple a été atteinte. Les apprentis sorciers qui menaient et dirigent encore Saguenay n'ont encore rien compris. L'élite politique a failli complètement... et les autobus et voitures se remplissent toujours de citoyens et de citoyennes pour des voyages sans retour pour Québec et ailleurs.
Merci M. le maire pour vos prières avec chapelets. Votre ville en aura bien besoin....mais ce sera tout à fait insuffisant.
dit :
Bonjour cher Russel,
Merci infiniment pour cette photo à vol d'oiseau du Bassin avant le pont Dubuc. Vous avez raison de dire que grâce à vos livres tels que ''L'histoire de Chicoutimi-Nord'', vol. 1 et 2, -que je viens de relire avec plaisir cet été- nous pouvons nous rappeler et expliquer à nos enfants comment c'était avant...avant le massacre des vestiges de nos municipalités. Heureusement que vous avez pris ces clichés que vous publiez généreusement ici et dans vos livres. Passionnée d'Histoire et de photographies anciennes, je vous demande de continuer à nous faire part de vos trésors, photos et écrits, que j'apprécie depuis longtemps.
Cordiales salutations,
Anne Vaillancourt, native de Chicoutimi-Nord.
dit :
Bonjour Anne.
Merci pour votre appréciation. Ça fait toujours plaisir de voir qu'il s'en trouve pour apprécier ces efforts de mémoire que j'ai faits pour notre communauté.
Akakia
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