Éloge à Voltaire : le désastre de Lisbonne
Russel Bouchard, in « Plaisir de dire d'écrire et dédire », 2003.
Cette époque me tue, j’en souffre, je doute de la suite et je le dis. Ce que nous traversons est absolument atroce et d’aucuns nous promettent qu’il faut pratiquer la patience et l’abandon car c’est là, plaident-ils, le passage obligé avant d’accéder au meilleur des mondes. Pas question de me laisser emporter pour autant par un optimisme désarmant, un optimisme dans lequel tout ce beau monde s’abandonne puisqu’il est à la mode de dire qu’il faut vivre d’espoir et de courage, qu’il faut voir positif, être zen.
Puisqu’on nous assure que le monde auquel nous aspirons et pour lequel nous nous préparons est définitivement meilleur que celui-ci, il faut donc admettre que nous vivons dans le pire des mondes et que le meilleur est à venir, bien que le pire pourrait encore nous affliger. « On a besoin d’un Dieu qui parle au genre humain. L’optimisme est désespérant. C’est une philosophie cruelle sous un nom consolant », écrit Voltaire à ce sujet dans une correspondance du 18 février 1756. « Il est démontré, poursuit-il dans son fabuleux « Candide », que « tous les événements sont enchaînés dans le meilleur des mondes possibles », ce qui est cruellement vrai, et « que les choses ne peuvent être autrement ; car tout étant fait pour une fin, tout est nécessairement la meilleure. [...] Par conséquent, ceux qui ont avancé que tout est bien, ont dit une sottise », et il leur fallait dire plutôt « que tout est au mieux ».
Cela dit, l’espoir n’est pas de prétendre que tout va pour le mieux quand on sait le contraire ; et l’optimisme n’est pas de se détourner du combat qui s’offre à nous sous prétexte que le pire peut survenir encore à tout moment pour s’imposer sur les décombres de l’humanité. Si on fait mine de voir le monde actuel sur un beau côté quand il n’y est pas, s’il suffit de dire que tout est bien quand la souffrance marque la mesure, il faut alors convenir que même la mort ne saura nous délivrer du malheur. Et « on ira de malheur en malheur », comme le dit encore le philosophe des Lumières qui a de la difficulté à accuser le choc du désastre de Lisbonne où ont péri, en novembre 1755, environ 60,000 personnes ; et on ira de malheur en malheur vu que c’est là la destinée de l’humanité, vu que c’est dans cet état qu’on se porte pour le mieux depuis que les portes du paradis perdu, où logeait alors le meilleur des mondes, se sont refermées derrière notre grand-père Adam, après qu’il eût été convaincu, par une sotte femme, qu’il pouvait accéder à quelque chose de meilleur à ce qui était déjà fort bien. [...]
Cette époque me tue, j’en souffre, je doute de la suite et je le dis. Ce que nous traversons est absolument atroce et d’aucuns nous promettent qu’il faut pratiquer la patience et l’abandon car c’est là, plaident-ils, le passage obligé avant d’accéder au meilleur des mondes. Pas question de me laisser emporter pour autant par un optimisme désarmant, un optimisme dans lequel tout ce beau monde s’abandonne puisqu’il est à la mode de dire qu’il faut vivre d’espoir et de courage, qu’il faut voir positif, être zen.
Puisqu’on nous assure que le monde auquel nous aspirons et pour lequel nous nous préparons est définitivement meilleur que celui-ci, il faut donc admettre que nous vivons dans le pire des mondes et que le meilleur est à venir, bien que le pire pourrait encore nous affliger. « On a besoin d’un Dieu qui parle au genre humain. L’optimisme est désespérant. C’est une philosophie cruelle sous un nom consolant », écrit Voltaire à ce sujet dans une correspondance du 18 février 1756. « Il est démontré, poursuit-il dans son fabuleux « Candide », que « tous les événements sont enchaînés dans le meilleur des mondes possibles », ce qui est cruellement vrai, et « que les choses ne peuvent être autrement ; car tout étant fait pour une fin, tout est nécessairement la meilleure. [...] Par conséquent, ceux qui ont avancé que tout est bien, ont dit une sottise », et il leur fallait dire plutôt « que tout est au mieux ».
Cela dit, l’espoir n’est pas de prétendre que tout va pour le mieux quand on sait le contraire ; et l’optimisme n’est pas de se détourner du combat qui s’offre à nous sous prétexte que le pire peut survenir encore à tout moment pour s’imposer sur les décombres de l’humanité. Si on fait mine de voir le monde actuel sur un beau côté quand il n’y est pas, s’il suffit de dire que tout est bien quand la souffrance marque la mesure, il faut alors convenir que même la mort ne saura nous délivrer du malheur. Et « on ira de malheur en malheur », comme le dit encore le philosophe des Lumières qui a de la difficulté à accuser le choc du désastre de Lisbonne où ont péri, en novembre 1755, environ 60,000 personnes ; et on ira de malheur en malheur vu que c’est là la destinée de l’humanité, vu que c’est dans cet état qu’on se porte pour le mieux depuis que les portes du paradis perdu, où logeait alors le meilleur des mondes, se sont refermées derrière notre grand-père Adam, après qu’il eût été convaincu, par une sotte femme, qu’il pouvait accéder à quelque chose de meilleur à ce qui était déjà fort bien. [...]
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